#303 « Nos cœurs n’étaient-ils pas brûlants quand il nous parlait ? »

Sur la route d’Emmaüs, les deux disciples accostés par Jésus ressuscité sont bouleversés par sa présence anonyme qui leur apporte la joie qui les avait fuis. Les saints et les saintes témoignent de cet amour brûlant de Jésus dans leur vie quotidienne. Ces derniers jours, nous avons célébré la fête de tous les saints, jour de joie au Ciel et sur la terre. Nous avons prié pour nos défunts avec l’espérance que Dieu Père leur fait miséricorde pour leurs péchés, leur ouvre son cœur divin pour les accueillir dans sa Gloire, qui est l’expression de son Amour insondable et brûlant. 

Le 26 octobre, le pape clôturait le synode sur la synodalité en promulguant non pas son propre texte comme cela est de coutume mais le texte voté par l’assemblée synodale. Il sera utile de le lire et de relever ce que l’Esprit Saint y enseigne pour l’Église qui est en France. Assurément, comme sa portée est universelle, chaque communauté dans toutes les cultures ecclésiales y puisera des appels et des nouveautés diverses. Cependant le point commun est d’apprendre à marcher la Bible en main, ensemble, en priant avec insistance le Saint-Esprit pour qu’il « nous conduise à la vérité tout entière » (Jn 16,13), afin que ce mode de dialogue et de discernement devienne un art pour progresser, une modalité incontournable entre nous, baptisés, clercs et laïcs. 

Le pape a donné un commentaire fort lors de la clôture du synode qui se tenait à saint Pierre de Rome dans laquelle il parle de l’Église : « nous n’avons pas besoin d’une Église qui s’assoit et abandonne, mais d’une Église qui accueille le cri du monde et – je tiens à le dire, peut-être que certains seront scandalisés – une Église qui se salit les mains pour servir le Seigneur. » « Frères, sœurs » a-t-il ajouté, « pas une Église assise, une Église debout. Pas une Église silencieuse, une Église qui entend le cri de l’humanité. Pas une Église aveugle, mais une Église éclairée par le Christ qui apporte aux autres la lumière de l’Évangile. Pas une Église statique, une Église missionnaire, qui marche avec le Seigneur sur les routes du monde. » Ces paroles portent bien la marque du pape dont l’enseignement est enraciné dans le concret de nos vies. Elles sont ancrées dans l’humus de la vie sociale et tiennent compte de nos besoins d’amour et d’entraide dans notre société où tant de personnes ne voient jamais leur dignité respectée et vivent dans la misère. 

Face à ces situations parfois dramatiques et sans issue, François conduit l’Église vers la source de toute vie, Jésus-Christ. C’est pour y répondre que, ces jours-ci, le pape a publié une nouvelle encyclique, longue et fournie, sur le divin Cœur de Jésus. Pour nous qui sommes français, cette parution ne peut nous laisser indifférents puisque c’est à Paray-le-Monial, auprès de sainte Marguerite-Marie Alacoque, que Jésus a choisi de manifester l’infini amour de son cœur. « Dieu est amour » et Dieu possède un cœur qui attire les nôtres pour qu’ils soient plongés en lui et y reçoivent sa puissance d’amour. Le titre Dilexit nos signifie « il nous a aimés ». Le premier paragraphe de l’encyclique puise dans l’Écriture sainte toute sa force et son contenu. Il est donné comme introduction à la méditation du saint Père : « “Il nous a aimés” dit saint Paul, en parlant du Christ (Rm 8, 37), nous faisant découvrir que rien “ne pourra nous séparer” (Rm 8, 39) de son amour. Il l’affirme avec certitude car le Christ l’a dit lui-même à ses disciples : “Je vous ai aimés” (Jn 15, 9.12). Il a dit aussi : “je vous appelle mes amis” (Jn 15, 15). Son cœur ouvert nous précède et nous attend inconditionnellement, sans exiger de préalable pour nous aimer et nous offrir son amitié : “Il nous a aimés le premier” (1 Jn 4, 19). Grâce à Jésus, “nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru” (1 Jn 4, 16). (DN 1) »

Ce feu qui jaillit du Cœur de Jésus ne détruit pas, il ressemble au feu qui brûlait au centre du buisson ardent dans le désert où Moïse faisait paître le troupeau de son beau-père Jethro, et qui pourtant ne se consumait pas. Ce feu était le signe de la présence divine et de la force qui convoque et envoie en mission ceux qui acquiescent à la demande de Dieu. Sainte Marguerite-Marie entendit la douleur de Jésus qui lui disait « voici ce cœur qui a tant aimé les hommes et qui ne reçoit d’eux qu’ingratitude ». Le pape François parle de ce feu ardent en citant saint Bonaventure, un évêque théologien du XIIIe siècle, qui dit que l’on doit demander « non pas la lumière mais le feu ». Mais comment recevoir ce feu ? Pour nous qui sommes baptisés, qui vivons dans le monde, qui n’arpentons pas les cloîtres, comment être brûlé ? Le pape explicite cela par les mots de saint John Henry Newman, qui affirme : « le lieu de la rencontre la plus profonde, avec lui-même et avec le Seigneur, n’était pas la lecture ou la réflexion, mais le dialogue priant, cœur à cœur avec le Christ vivant et présent. » (DN 26) Là se produit une contamination d’amour, une transmission du feu, non pas brutale mais douce, comme une chaleur spirituelle qui réchauffe et apaise l’âme venue se reposer en Christ. Ce dialogue se nomme prière et méditation. Elle est chrétienne car elle vise ce colloque intime entre Dieu et le croyant tel que Jésus-Christ l’a enseigné aux apôtres. Elle est un échange de mots intérieurs, certains plaintifs et d’autres reconnaissants. À Jésus-Christ venu partager notre condition humaine, tout peut être dit, notre gratitude comme notre colère, car ces sentiments l’ont habité durant sa vie humaine. Ce dialogue sera enrichi par notre connaissance de la Parole, qui fait sa demeure en nous et que l’Esprit fait remonter à la conscience pour nous parler de manière nouvelle. 

Pour donner chair à ce message, je n’hésite pas à citer encore le saint évêque anglais Newman qui devint catholique et qui exprime sa découverte de l’eucharistie, sacrifice du Christ où notre prière jointe à celle de toute l’Église entre en dialogue pour se laisser brûler d’amour : « Ô très Sacré, très aimant Cœur de Jésus, tu es caché dans la Sainte Eucharistie et tu bats toujours pour nous. […] Je t’adore donc avec amour et crainte, avec une affection fervente et une volonté soumise et résolue. Ô mon Dieu, quand tu condescends à me permettre de te recevoir, de te manger et de te boire, et à faire de moi pour un moment ta demeure, oh ! fais battre mon cœur à l’unisson du tien. Purifie-le de tout ce qui est terrestre, fier et sensuel, de tout ce qui est dur et cruel, de toute atonie, de tout désordre, de toute perversité. Remplis-le de ta présence, afin que ni les événements de la journée, ni les circonstances du temps présent n’aient le pouvoir de le troubler ; mais que, dans ton amour et dans ta crainte, il puisse trouver la paix » (DN 26). Ce que l’auteur nomme atonie, c’est le manque de vigueur et de vitalité. Or Jésus veut nous donner la vie, en abondance, pas pour que nous soyons inertes mais bien pour que nous soyons en mouvement pour recevoir et témoigner du Mystère célébré. Un témoin a besoin du feu intérieur pour parler au nom de Dieu de manière crédible et communicative. Quel sera ce feu ? Pour le prophète Jérémie il s’agit de la Parole de Dieu : « Ma parole n’est-elle pas comme un feu ? » (Jr 23,29). 

Ce mois de novembre est précieux pour conclure l’année liturgique avant le temps de l’Avent. Le pape a demandé que 2024 soit une année dédiée à la prière en vue de nous préparer au jubilé universel de l’Église catholique qui a lieu tous les vingt-cinq ans. Dans notre diocèse de Chartres, nous serons invités à vivre son ouverture le dimanche de l’épiphanie le 6 janvier 2025. Aussi continuons à prendre soin de notre vie spirituelle par un engagement personnel sérieux de prière et de méditation des saintes Écritures. Ne perdons pas un temps précieux. Noël arrivera vite avec les illuminations des fêtes commerciales ; mais nous, chrétiens, devons revenir à Bethléem, à son recueillement, et en vue de cela nous préparer à l’accueil et à la rencontre de Jésus. La Sainte Famille nous y attend pour nous présenter le Sauveur, Jésus.

Prions encore pour la paix dans le monde, prions pour que nos dirigeants reçoivent la sagesse. Notre-Père. 

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