Nous sommes au cœur de l’événement de l’Ascension, ce moment décisif de la vie de Jésus qui est élevé au Ciel auprès de Dieu le Père, à la vue des apôtres présents. Relisons ce passage rapporté par saint Luc : « Mais vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs yeux. » (Act 1, 8-9) Dorénavant les apôtres sont responsables du message et des dons spirituels que Jésus leur a confiés. L’Église est née et ils ont la mission d’annoncer le salut à toutes les nations. Jésus leur avait dit avant son départ qu’il leur enverrait l’Esprit. Ils vont attendre cette manifestation divine, dont les effets ne leur sont pas encore connus, durant neuf jours, restant en prière au Cénacle à Jérusalem. Ce sera lors de la fête de la Pentecôte qu’ils seront embrasés par le Saint Esprit.
Saint Paul n’est pas encore présent à ce stade de la vie de l’Église primitive. On l’aperçoit une première fois lors de la lapidation du diacre Étienne (Act 7). Heureusement, après sa conversion miraculeuse, Paul développe son enseignement en le transmettant aux communautés qu’il fonde en plusieurs régions de l’Empire romain par des lettres conservées dorénavant dans la Nouveau Testament. Nous avons commencé à parler des charismes la semaine passée et nous allons de l’avant. Il y a trois chapitres déterminants dans la première lettre aux Corinthiens. Le chapitre 12 présente la notion de charisme. Le chapitre 13 présente la charité comme « la voie excellente ». Le chapitre 14 insiste sur l’utilité de la prophétie et du chant en langue pour bâtir la communauté comparée à un corps dont chacun est un membre nécessaire et digne. On peut donc constater que pour Paul la charité est comme la clé de voûte de son discours. On voit aussi que Paul prend la peine de décrire longuement les charismes, alors que le support même qu’il utilise pour écrire est précieux et coûteux à l’époque. C’est dire l’importance de ce qu’il désire nous dire pour la vie de l’Église. Les charismes concernent tout fidèle puisqu’à chacun est donnée la manifestation de l’Esprit, ce qui signifie à tous, en vue du bien commun (1 Co 12,7). La question abordée ne peut pas être esquivée puisqu’il en va de l’Église et de l’évangélisation des non-croyants.
Saint Paul donne un enseignement déterminant pour la vie de nos communautés paroissiales et la vie charismatique : « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est le même Esprit. Les services sont variés, mais c’est le même Seigneur. Les activités sont variées, mais c’est le même Dieu qui agit en tout et en tous. À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien. À celui-ci est donnée, par l’Esprit, une parole de sagesse ; à un autre, une parole de connaissance, selon le même Esprit ; un autre reçoit, dans le même Esprit, un don de foi ; un autre encore, dans l’unique Esprit, des dons de guérison ; à un autre est donné d’opérer des miracles, à un autre de prophétiser, à un autre de discerner les inspirations ; à l’un, de parler diverses langues mystérieuses ; à l’autre, de les interpréter. Mais celui qui agit en tout cela, c’est l’unique et même Esprit : il distribue ses dons, comme il le veut, à chacun en particulier. » (1 Co 12,4-11)
Qui peut recevoir ces charismes ? Paul le dit bien, chacun de nous. Rappelons-nous le jeune garçon Daniel qui sauve Suzanne de la mort. Spontanément, Daniel prophétise et annonce que le jugement qui la condamne est faux. L’amour est au cœur de l’exercice des charismes, avec l’humilité et le désir de servir. Ceci nécessite que tous les fidèles comprennent que c’est l’Esprit qui conduit la vie ecclésiale. Certains chrétiens sont trop ancrés dans leurs prérogatives, leurs responsabilités, leurs certitudes et leurs acquis au sein de la paroisse : c’est un véritable obstacle à la mission. Dans ce cas, on voit que la liberté de l’Esprit est freinée par ces esprits sûrs d’eux-mêmes mais peu inspirés. Nous n’insistons jamais assez sur la place unique de la charité, de l’amour partagé, qui conduit toute personne vivant en Dieu à l’abandon à la volonté divine dans une vraie humilité afin d’être, à l’instar de la Vierge Marie, l’instrument du Verbe divin, pour donner Jésus au monde. « J’aurais beau parler toutes les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas la charité, s’il me manque l’amour, je ne suis qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante. J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, j’aurais beau avoir toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. J’aurais beau distribuer toute ma fortune aux affamés, j’aurais beau me faire brûler vif, s’il me manque l’amour, cela ne me sert à rien. » (1 Co 13,1-3)
« J’aurais beau être prophète », sans la charité, cela ne sert à rien. Mais dans le chapitre 14, Paul demande ce don de prophétie pour tous, car il constate que la prophétie bâtit la communauté. Chacun de nous est devenu prophète par son baptême. Cependant, qu’est-ce que la prophétie et en quoi est-ce un charisme ? La prophétie est la transmission verbale de la volonté divine qui se manifeste par une parole édifiante, consolante et fortifiante à l’assemblée chrétienne pour aujourd’hui. Le prophète est un baptisé qui, écoutant en lui-même les motions du Saint Esprit, ose parler à ses contemporains pour édifier l’Église, soutenir les faibles, encourager les peureux, fortifier les responsables, guider les fidèles. Sa parole n’est pas un conseil humain aussi sage soit-il, mais l’écho de l’Écriture Sainte qu’il laisse surgir en lui sous l’action de l’Esprit et qu’il ose partager à une personne ou à une assemblée pour lui dévoiler la route à suivre. Le prophète s’efface devant le Christ tout en osant parler en son nom. Saint Paul dit clairement : « Recherchez avec ardeur les dons spirituels, surtout celui de prophétie (…) celui qui prophétise parle pour les hommes : il est constructif, il réconforte, il encourage (…) celui qui prophétise construit l’assemblée de l’Église. Je souhaiterais que vous parliez tous en langues, mais, plus encore, que vous prophétisiez. » (1 Co 14,1.3-5a)
Comprenons que l’expérience synodale actuelle doit être portée par l’accueil et l’écoute de ces prophéties. Saint Paul a l’expérience de ces charismes dans les assemblées qu’il fréquente où sont invités non seulement des juifs mais des païens grecs et romains. Aussi ajoute-t-il encore : « Si tous prophétisent, et qu’il arrive un non-croyant ou un non-initié, il se sent mis en question par tous, comme soumis à examen par tous, les secrets de son cœur sont mis au grand jour : il tombera face contre terre pour se prosterner devant Dieu et proclamer : « Vraiment, Dieu est parmi vous ! » (1 Co 14,24-25)
Ne trouvons-nous pas surprenant cet enseignement de Paul ? Qui le connaissait ? Qui en vivait ? Oui, mes amis, nous devons revenir souvent à l’Écriture pour être enseignés sur la vie spirituelle en vue de la mission. Saint Paul se montre un maître pour les premiers chrétiens, et nous sommes un peu comme eux au sein d’un monde païen qui promeut la théorie du genre ou le wokisme, sorte de renouveau de la gnose. L’époque contemporaine a besoin de prophètes. Nous le sommes par le baptême. Nous sommes renouvelés dans ce charisme par les sacrements. Pourquoi ne pas demander souvent au Saint Esprit ce charisme de prophétie, en nous engageant simultanément à méditer la Parole de Dieu pour qu’elle rejaillisse ensuite sur nos lèvres ? L’Évangile est plus que jamais la réponse aux inquiétudes de ce monde, à la montée de toutes les formes de violences et d’individualisme. Saint Paul dit que nous portons un trésor dans des vases d’argile. Or nous sommes faits de l’argile, comme la Genèse le dit (cf. Gn 1), façonnés par Dieu à son image et à sa ressemblance. La fragilité est ainsi le passeport pour aller vers les lieux de vie de nos contemporains le cœur ouvert aux détresses et attentif au besoin d’une réponse face au vide intérieur. C’est le Christ qui peut combler, car il est le chemin, la vérité et la vie. N’est-ce pas merveilleux de comprendre que l’Esprit Saint nous accompagne et qu’il bâtit l’Église ? Soyons de plus en plus des prophètes en méditant la parole et en appelant l’Esprit à nous saisir.
Invoquons encore l’Esprit Saint durant la neuvaine de prière avant la Pentecôte.
Viens souffler sur nous Esprit de Dieu, viens nous embraser Esprit de feu,
Viens nous sanctifier, viens nous recréer, souffle de vie !
Toi qui combles tant de monde, par la joie que tu déploies, brise rassurante, Esprit d’amour.
Tu réjouis le cœur de l’homme, de tes dons tu le remplis, présence divine, Esprit de joie !
Toi qui brilles au cœur du monde, enseigne-nous la prière, flamme rayonnante, Esprit de crainte.
Tu embrases et tu entraînes, viens purifier notre foi, présence divine, Esprit du Père !
Viens souffler sur nous Esprit de Dieu, viens nous embraser Esprit de feu