Paray-le-Monial en juillet 2021 : des familles, des prêtres, des frères et sœurs porteurs de handicap, la joie et les rires, la louange et l’adoration, des rencontres merveilleuses au self ou à la librairie, du soleil et une tornade de pluie, des enfants (nombreux !) et des adolescents qui posent beaucoup de questions, l’eucharistie merveilleusement chantée et priée. Pour moi, c’est la 37ème année en ce lieu. Mais c’est aussi une découverte : au 12 place de l’hôtel de Ville, Manuelle et Thierry m’ont ouvert la porte de leur demeure très ancienne. Cette maison fut en réalité celle des visitandines avant que les jésuites, installés là où la Chapelle des apparitions se trouve aujourd’hui, firent l’échange de leur bien avec celui des sœurs. Celles-ci, fort nombreuses, avaient besoin de place. Sur le mur de la maison, une plaque dit « Dans cette maison, mourut le 15 février 1682 saint Claude la Colombière, jésuite. Il se consacra avec Sainte Marguerite-Marie à faire connaitre le Cœur de Jésus qui a tant aimé les hommes. »
En montant le vieil escalier de pierre en colimaçon, construit peut-être au XVème siècle, encastré dans une tour de belles pierres jaunes et débouchant au-dessus de la toiture de la maison, on atteint le second étage. Là se trouve la chambre où saint Claude, malade des poumons, ferma les yeux. On l’inhuma le lendemain dans la discrétion. Ce jeune prêtre, mort à 41 ans, était pourtant connu pour son intelligence et sa foi : précepteur des enfants de Colbert, le contrôleur général des finances, il devint supérieur des jésuites de Paray-le-Monial et directeur spirituel de sainte Marguerite-Marie ce qui fit de lui un prédicateur zélé du Sacré-Cœur. Puis on l’envoya en Angleterre auprès de la duchesse d’York, future reine. Menant une vie austère, fidèle à sa promesse religieuse comme jésuite de vivre « tout pour la Gloire de Dieu », il fut malheureusement accusé de participer à un complot papiste et jeté en prison. Il dût sa vie sauve au soutien de la duchesse d’York et à la protection du roi Louis XIV. C’est à son retour en France que sa santé se dégrade vite.
Sainte Marguerite-Marie lui survit huit années. Les apparitions de Jésus montrant son cœur enflammé d’amour pour les âmes, sont peu à peu reconnues, et le culte au Sacré-Cœur se développe à Paray-le-Monial. Les sessions d’été animées par la Communauté de l’Emmanuel en sont une expression. Venir boire à la source de l’amour divin, voici la joie des pèlerins de Paray. Finalement, par la découverte de ce lieu, j’ai eu la grâce de prier longuement dans cette chambre où saint Claude quitta notre monde pour entrer dans la vie qu’il attendait, auprès de Dieu. Sainte Marguerite-Marie fit prier les sœurs visitandines quelques heures pour son salut avant que de dire qu’il était entré au Ciel.
Face à ce message d’amour, quelle est notre réponse spirituelle depuis le début de cet été ? Prenons-nous un temps quotidien pour méditer l’Évangile ? Si ce n’est pas le cas, il faut nous ressaisir. C’est même une urgence de ne pas prendre à la légère cet appel. Notre société se débat face aux lois qui touchent à notre liberté. Les politiques s’affrontent sur la question du passe sanitaire sur fond de préparation de l’élection présidentielle. Les médias font office de caisses de résonance et apportent peu de nouvelles enthousiasmantes, si ce n’est quelques médailles glanées aux JO pour le bonheur de la France.
Le pape François a donné un nouveau Motu Proprio pour réguler l’usage de la forme extraordinaire du rite liturgique romain célébrée en latin. La rigueur du texte a blessé des catholiques attachés à cette forme traditionnelle. Nous pouvons les comprendre. Nous nous rappelons que c’est à l’écoute du Saint Esprit que le saint Père conduit l’Église. Même si le Motu proprio n’appartient pas au Magistère infaillible du pape, nous lui sommes fidèles, car c’est à Pierre que le Christ a confié les clés du Royaume. François est son successeur.
Dans le diocèse de Chartres, en plusieurs lieux, la forme extraordinaire de la messe est proposée. Bien entendu, nous réfléchirons à tête reposée après la rentrée scolaire à la mise en place de ce Motu Proprio, car chacun a besoin d’être soutenu par la sainte Eucharistie. Le Concile Vatican II fit avancer l’Église dans son lien au monde contemporain. Fruit de la réforme liturgique qui a couru au long du XXe siècle, la forme ordinaire a largement contribué à l’inclusion de nombreux textes bibliques, à l’utilisation de prières antiques retrouvées dans des manuscrits anciens, à la participation active des fidèles au culte eucharistique, en gardant l’usage du grégorien en latin mais qui peut être chanté en français comme à l’abbaye de Sept-Fons. Nos liturgies intègrent le chant polyphonique comme celui créé par l’Oratoire de saint Philippe Néri, les œuvres de Jean-Sébastien Bach reprises souvent par les paroisses allemandes, les chants des communautés nouvelles qui ont beaucoup composé depuis le Concile, les créations modernes comme celles d’Olivier Messiaen jusqu’aux compositions musicales correspondant au génie artistique des peuples devenus catholiques récemment, ce que j’ai pu apprécier lors de mes voyages au Gabon ou au Burkina Faso.
Le Concile dit que « l’eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne. » (Lumen Gentium n°11) Chaque prêtre avec sa communauté locale a la mission de déployer avec beauté et sacralité la forme ordinaire du rite latin, en mettant en valeur le sacrifice de Jésus pour notre salut et sa résurrection qui nous ouvre la porte du Ciel. Nos frères orthodoxes aiment à dire que la messe est comme le narthex du Paradis, une forme d’anticipation à la Gloire qui nous sera partagée. Leurs iconostases dorées expriment magnifiquement l’Église céleste et la communion des saints autour de la sainte Trinité.
Ainsi la liturgie romaine continue son déploiement en puisant de l’ancien et du neuf pour rendre présent notre Seigneur Jésus-Christ auprès de ceux et celles qui recherchent Dieu en vérité même s’ils ne le connaissent pas encore car personne ne leur parle de lui. La messe est hautement missionnaire par sa beauté, son déploiement, sa prière profonde, par la qualité de chaque partie célébrée. Cependant, pour vivre notre foi pleinement, nous ne pouvons pas nous contenter du rite, car notre foi en l’incarnation du Verbe divin fait homme nous demande de tisser des liens de charité entre nous par notre accueil les uns des autres, par le suivi des personnes souffrantes, par la vie fraternelle locale qui organise la catéchèse de enfants, l’accompagnement des adolescents, la formation des fiancés, le suivi des couples et le soutien des personnes âgées ou dépendantes. Le grand saint Jean Chrysostome dénonçait ceux qui utilisent de l’or pour le culte mais oublient le Christ dans le pauvre Lazare qui git dehors. Le Christ nous donne le précepte pour entrer un jour en sa présence : « J’étais nu et tu m’as habillé, j’avais faim et tu m’as nourri. » (Cf. Mt 25) Le chrétien célèbre en vérité le culte en offrant son être – sa personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu et simultanément il se livre pour ses frères. Saint Paul ajoute « c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. » (Rm 12,1) Si la sainte Messe a le pouvoir de transformer le monde et donc notre société française, ce sera par la conversion authentique de ceux et celles qui y participent en s’offrant eux-mêmes, ce qui veut dire en se laissant modeler par la Parole entendue et consommer par la communion reçue, jusqu’à pouvoir dire un jour avec humilité « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ce que je vis aujourd’hui dans la chair, je le vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi. » (Gl 2,20) Alors, par notre communion en Jésus-Christ, notre Église qui est en Eure & Loir, comme en France, rayonnera de la lumière qui nous vient d’en-haut.
Quand Jésus a demandé aux apôtres s’ils pourraient boire la coupe avec lui, un peu fanfaron, ils répondirent « nous le pouvons ». Jésus leur a répondu qu’effectivement ils la boiraient. Tous sont morts martyrs à l’exception de saint Jean et de Juda qui le trahit et se tua. Jésus s’est plaint à sainte Marguerite-Marie de la distance d’avec les enfants de Dieu « Voici ce Cœur qui a tant aimé les hommes, […] jusqu’à s’épuiser et se consumer pour leur témoigner son amour. Et pour reconnaissance, je ne reçois de la plupart qu’ingratitude ». Quelle réponse apporterons-nous ces prochaines semaines à Jésus, si passionné d’amour pour les hommes et pour chacun ?
Veillons à ne pas perdre notre paix et notre attention à sa présence par tant de débats stériles. Cherchons le Seigneur tant qu’il se laisse trouver. Bénissons-le par notre louange. Communions à son corps avec grande attention et sens du sacrifice. Retenons comme la Vierge Marie ses paroles pour qu’elles nourrissent nos pensées et guident nos actions.
Pour prier avec vous maintenant, j’aimerais vous proposer l’acte de confiance de saint Claude la Colombière, fort audacieux, mais ô combien inspirant.
« Mon Dieu, je suis si persuadé que tu veilles sur ceux qui espèrent en toi, et qu’on ne peut manquer de rien quand on attend de toi toutes choses, que j’ai résolu de vivre à l’avenir sans aucun souci, et de me décharger sur toi de toutes mes inquiétudes : « Dans la paix, moi aussi, je me couche et je dors, car tu me donnes d’habiter, Seigneur, seul, dans la confiance » (Ps 4, 9).
Les hommes peuvent me dépouiller et des biens et de l’honneur, les maladies peuvent m’ôter les forces et les moyens de te servir, je puis même perdre ta grâce par le péché ; mais jamais je ne perdrai mon espérance, je la conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie, et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de vains efforts pour me l’arracher : « Dans la paix, moi aussi, je me couche et je dors ».
Certains peuvent attendre leur bonheur de leurs richesses ou de leurs talents, d’autres s’appuyer sur l’innocence de leur vie, ou sur la rigueur de leurs pénitences, ou sur le nombre de leurs aumônes, ou sur la ferveur de leurs prières. Pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même ; cette confiance ne trompa jamais personne. Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux, parce que j’espère fermement de l’être, et que c’est de toi, ô mon Dieu, que je l’espère. Amen. »