#284 « Veux-tu te faire le prochain du pauvre et du malheureux ? »

Nous allons continuer la lecture de l’encyclique Fratelli Tutti du pape François pour éclairer ce moment politique complexe marqué par les prochaines élections législatives.

Avant cela, nous aurons la grande joie, ce dimanche, d’ordonner prêtre pour l’Église catholique Olivier Lecanu. Il sera incardiné dans le diocèse de Chartres, en mission à Nogent-le-Rotrou en plus d’études de théologie au collège des Bernardins. C’est un grand bonheur que nous partageons largement dans notre Église diocésaine.
Être prêtre, qu’est-ce que cela signifie ? Tant de livres et d’articles, tant d’homélies ont cherché à dire ce mystère du sacerdoce presbytéral qui ne trouve son sens que par la figure du Christ prêtre qui offre sa vie à Dieu Père pour le salut des hommes, depuis Adam jusqu’à la fin de l’humanité. S’il devient père pour chaque fidèle, le prêtre se fait frère des fidèles qui lui sont confiés, sans distinction, avec son cœur fragile d’homme, sa bonne volonté, son désir de soulager et d’écouter, de comprendre et d’accompagner. Tout jeune prêtre a des projets, parfois des idées précises sur son nouveau ministère, mais voilà que la vie concrète au contact des humains souffrants va réorienter peu à peu l’élan de son cœur pour être humblement tout à tous, pour présenter dans son oraison chaque personne à Jésus en discernant sa propre imperfection et surtout son immense incapacité à répondre aux besoins profonds de chacun, tout en gardant l’Espérance qu’en Dieu est présente la source de la Vie, la vraie, et qu’elle peut hydrater ces âmes pauvres et abattues. Alors le prêtre présentant son offrande à l’autel consacre le pain qui devient le corps du Christ soit la nourriture de l’âme, le viatique pour ses frères et ses sœurs avant qu’ils ne voient un jour, face à face, le Dieu de miséricorde qui s’est fait si proche en Jésus-Christ. Si petite et humble, cette hostie contient la vie divine, même reçue entre ses mains de pécheur, dans la nudité de certaines chapelles bien petites, loin des grands rites solennels. Oui Jésus-Christ est là et il se donne. La vie du prêtre puise tout son sens dans la célébration de l’eucharistie. J’émets le vœu que nous, prêtres ordonnés au service des fidèles, soyons des frères pour chacun de vous, à l’image du bon samaritain.

Maintenant, j’aimerais prolonger ma méditation déjà commencée de l’encyclique Fratelli tutti, en commentant le second chapitre qui porte comme titre « un étranger sur le chemin ». Pour rappel, le pape François a pris le temps de décrire les ombres qui obscurcissent nos sociétés, tout en concluant par une parole d’espérance puisqu’il voit les bonnes volontés qui offrent le meilleur d’elles-mêmes pour les autres. Aussi veut-il illustrer cette réalité avec la parabole du bon samaritain (Lc 10,30-35) que l’évangéliste saint Luc nous rapporte. Il s’agit d’un voyageur attaqué et laissé pour mort, que tous ignorent, le laissant abandonné dans le fossé mais qu’un voyageur étranger secourt en le soignant, en le déplaçant sur sa monture, en le conduisant à l’auberge où il veille à ce qu’il y ait de quoi le soigner, laissant un peu d’argent pour les soins à venir et s’en allant avec la promesse de revenir un jour le revoir. Jésus donne en modèle cet homme qui est pourtant un samaritain, c’est-à-dire un homme rejeté par ceux qui suivaient le Christ. Nous sommes invités, comme les apôtres, à l’imiter, c’est-à-dire à nous faire proches de ceux qui sont laissés sur le bord de la route.

L’arrière-plan de cette parabole est la mentalité d’une époque qui est marquée par des attitudes qui reviennent de manière récurrente. Qui est l’étranger ? N’est-ce pas souvent, même encore aujourd’hui, celui qui est différent de moi, que je ne comprends pas, que je considère pas comme un frère ? L’invitation à aimer son prochain est souvent reçue comme un appel à aimer le « prochain » de mon groupe, celui qui partage les mêmes codes et la même culture. Nous faisons volontiers cet effort de nous apprécier, de nous aimer même au sein d’un même groupe social, d’une famille, d’un club ou d’un syndicat, d’une association. Mais qu’en est-il des personnes qui sont hors de notre cercle social ?

L’abandonné du bord de la route nous interroge et demande : ai-je une quelconque valeur à tes yeux ? As-tu du temps pour moi ? comme le bon samaritain qui devait être en route pour quelques affaires commerciales et qui s’est pourtant arrêté. Certains s’étaient détournés, un prêtre et un lévite. Nous serions-nous aussi détournés ? Comment regardons-nous le clochard ? Que faisons-nous lorsqu’il est là, assis dans la rue ? N’a-t-on pas peur de nous embarquer dans une relation prenante ? Le pape dit que certains qui causent un accident préfèrent s’enfuir plutôt que de venir en aide et assumer leur responsabilité, symptôme d’une société malade. Or l’attitude du bon samaritain redonne de la dignité à l’humanité, elle donne une direction pour reconstruire des rapports blessés, avec le « prendre soin » – en anglais on utilise le mot care – comme pivot des relations interpersonnelles. Le pape François affirme que « nous avons été créés pour une plénitude qui n’est atteinte que dans l’amour. Vivre dans l’indifférence face à la douleur n’est pas une option possible ; nous ne pouvons laisser personne rester ‘‘en marge de la vie’’ (FT 68) ».

C’est une histoire qui se répète, dit encore le pape dans Fratelli Tutti. On peut arguer des situations économiques et des réalités différentes selon les pays pour ne pas se sentir concerné. Or la vocation de l’homme demeure celle « d’aimer, d’adhérer à l’amour, de réintégrer l’homme souffrant ». La fraternité surgit de cette capacité à vivre en incluant les blessés de la vie et les pauvres à la vie du groupe par notre sollicitude ajustée. Nous savons que des hommes et des femmes sont exploités, torturés voire assassinés : oui cela existe toujours. La parabole demande que chacun de nous devienne ce samaritain qui vient au secours de son prochain. Ne tombons pas dans le fatalisme, avec le regard voyeur fixé sur les images transmises en ayant le cœur fermé lorsque nous pourrions faire quelque chose pour autrui.

Face aux défis qui se présentent et que nous connaissons, le pape François appelle à ne pas nous décourager, mais à recommencer courageusement l’effort d’aller vers les autres. Tant de catholiques œuvrent dans des associations caritatives au bénéfice des pauvres. Cette action se réalise mieux ensemble : le samaritain s’appuya sur l’aubergiste pour prendre soin de ce malheureux blessé. Beaucoup offrent ces bienfaits avec discrétion. Jésus nous y exhortait : « que ta main droite ignore ce que fait ta main gauche » (Mt 6,3). C’est le cas des membres de l’application « Entourage » qui s’associent pour entourer et soutenir un homme vivant à la marge. Beaucoup prennent soin d’un parent âgé en le visitant dans sa maison de retraite, lui apportant chaleur, proximité et tendresse.

L’ouverture et l’internationalisation des échanges marquent notre temps. Le pape parle du « prochain sans frontières ». Dans la parabole de Jésus, le samaritain est le personnage infréquentable pour un juif, considéré comme païen et impur, détestable et dangereux. La parabole est d’autant plus choquante pour les auditeurs du Christ que l’homme mis en valeur, qui se fait proche du blessé, n’est jamais considéré comme un prochain par les juifs. Jésus ose les bousculer pour les transformer et convertir leur regard sur celui que l’on rencontre. Ce peut être un voisin, comme un étranger. Certains comportements trahissent notre vocation à l’amour. En Beauce, on utilise le mot « accouru » pour désigner quelqu’un qui n’est pas d’ici. En Provence, on parle de l’étranger, soit celui qui vient du Nord de Valence. Dans notre cœur, avons-nous ce langage ou considérons-nous toute personne venant d’ailleurs comme un frère ou une sœur dont nous pouvons prendre soin ? Le pape François rappelle que Jésus disait « j’étais un étranger et vous m’avez accueilli » (Mt 25,35). Jésus demeure le personnage incontournable pour nous laisser enseigner sur l’universalité de notre humanité. Le connaître et l’imiter nous aide à envisager la fraternité avec tous. L’ignorer et le déconsidérer, c’est perdre ce repère, la source d’un amour destiné à chacun, l’appel à prendre soin et « se faire le prochain » de toute personne blessée.

Dans un futur message, je continuerai cette lecture que je vous engage à faire par vous-même car l’encyclique est dense et je ne peux en exprimer toute la profondeur. Prions ensemble maintenant, nous avons devant nous le projet politique de notre pays et nous demandons, comme le Roi Salomon, « la connaissance et la sagesse » (2Ch 1,10) pour toute personne qui se présente aux élections.

Notre Père.

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