À la veille des élections européennes, mesurons-nous l’importance du parlement européen sur notre vie courante ? Vivant de l’Évangile, nous constatons que les lois votées ne satisfont pas toujours nos attentes. Pourtant, il nous faut voter pour l’Europe, et pourquoi pas nous engager en politique afin d’apporter à la communauté humaine nos talents et le fruit de notre travail. Rappelons que Jésus a condamné celui qui enterre son talent sans le faire fructifier.
Avant de vous redire un mot sur les élections, faisons mémoire de ce 1er juin 2024, où, en la cathédrale de Chartres, six adolescents furent baptisés, une quinzaine de jeunes firent leur première communion et près de cent vingt furent confirmés. Ce fut magnifique, les chants étaient inspirants et conduisaient à l’intériorité, la joie était partagée et les membres des familles entourant ces jeunes furent touchés et, nous l’espérons, encouragés dans leur propre quête de Dieu. Connaître Jésus et Dieu le Père qui l’a envoyé, voici le don de l’Esprit Saint à ceux qui le cherchent. Adultes dans la foi, ces confirmés doivent faire maintenant le choix entre la cité d’en-bas et ses séductions, et la cité d’en-haut où demeurent les saints. Ils sont « pierres vivantes » de l’Église et ne peuvent demeurer inutiles et inféconds. Jésus les appelle à le suivre.
Ces confirmés continueront-ils leur chemin avec lui ? Certes le monde, et ses convoitises, attirent. Mais combien de jeunes m’écrivent par une lettre personnelle leur désir de vivre leur foi, en priant et en allant à la messe, en servant les autres et me disent ne pas supporter l’injustice. Faisons-leur confiance et accompagnons-les avec de vraies responsabilités au sein de nos communautés paroissiales ou dans les mouvements ecclésiaux. Ils sauront nous surprendre.
En effet, tout baptisé devient prêtre afin de prier Dieu et lui rendre un culte de louange, prophète pour annoncer son nom, sa parole et son Royaume, et enfin roi pour servir ses frères. Par le sacrement de la confirmation, Dieu fait vivre au confirmé une effusion de l’Esprit et les trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, se déploient dans sa personne telles des fleurs qui exhaleront un parfum de sainteté et porteront un fruit d’amour. C’est avec assurance que Paul proclame : « ce qui demeure aujourd’hui, c’est la foi, l’espérance et la charité ; mais la plus grande des trois, c’est la charité » (1 Co 13,13). L’amour, l’agape en grec, soit l’amour le plus large et le plus profond, est la source et le but de notre vie. C’est l’épanouissement de la grâce qui se réalise lorsqu’une personne s’oriente pleinement vers l’accueil de tels bienfaits en vue de la mission. La foi est ravivée et elle soutient la vocation sacerdotale vers une vie de prière. L’espérance fait désirer l’éternité future et elle soutient notre vocation prophétique afin que soit annoncée la vie éternelle. La charité communique l’amour divin et soutient la vocation royale du baptisé pour que sa vie déploie un ardent amour d’autrui.
Nous-mêmes avons reçu ces sacrements de l’initiation et vivons de ce don merveilleux. En chaque eucharistie, le Christ se donne à manger, dans sa Parole offerte en nourriture pour l’être chrétien, et dans l’hostie sainte, pain naturel devenu par la consécration le « pain des anges » – panis angelicum – le corps vivant du Christ, sa présence réelle. Or là où est le Fils, là est l’Esprit et le Père, puisque Dieu est unique et ne peut pas se diviser. Communiant au Corps de Jésus, le croyant reçoit Dieu en lui et accueille sa grâce pour épanouir sa vocation missionnaire.
Ce dimanche, en Europe, nous voterons pour renouveler le parlement de Bruxelles. Nous sommes attachés à la démocratie et souhaitons la paix portée par une authentique justice, sans corruption ni népotisme. Conscients des guerres qui ravagèrent nos villes et nos campagnes au XXe siècle, nous sommes inquiétés par la déstabilisation politique actuelle et la guerre qui sévit en Ukraine et aussi à Gaza. Mais nous croyons en la bonne volonté des hommes et des femmes afin de construire une paix réelle encadrée par des institutions solides. Chacun votera selon ses idées en suivant sa conscience pour envisager comment les options politiques engageront notre continent vers le respect de toute personne et, avant toutes choses, par l’attention aux plus fragiles, aux exclus et aux déracinés. Pourtant la société civile se dégrade et les relations sociales habituelles se tendent, les invectives sont fréquentes et les violences surgissent sans crier gare.
Le mot fraternité a-t-il encore tout son sens ? Comme citoyens, nous revendiquons notre liberté. Mais l’égalité est souvent mise en question. Quant à la fraternité, elle n’est pas partagée entre tous. En tant que chrétiens, nous disons que tous les hommes sont nos frères et sœurs. Mais le vivons-nous réellement ? Jésus lui-même interroge les gens : « qui sont mes frères ? ». Les regroupements communautaristes montrent que la fraternité est un chemin difficile. Est bien naïf celui qui croit que cette question n’est pas inscrite dans le cœur de l’homme depuis le péché originel. L’histoire de Caïn et Abel, relatée dans le livre de la Genèse, peut être donnée en exemple. Caïn ne nie pas qu’Abel soit son frère, puisqu’ils ont une même mère, mais il affirme « suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9) pour dire que sa vie lui importe bien peu. Lorsqu’il prononce cette phrase, il vient juste de l’assassiner.
Jésus dans l’évangile selon saint Marc précise que celui qui fait la volonté de Dieu est son frère. Une communion fraternelle s’établit entre ceux qui écoutent sa parole et la mettent en pratique. Certes tous les humains vivent sur une même planète Terre; selon la conception occidentale des droits de l’homme, nous reconnaissons à chacun la même humanité, tant au brigand qu’à l’étranger, au dirigeant qu’à l’homme fragile et dépendant, au croyant comme à l’athée. Pour nous, catholiques, notre fraternité vient d’un même Père céleste qui donne la vie à tous. Saint Pierre dit « faites tous vos efforts pour joindre à votre foi la vertu, à la vertu la connaissance de Dieu, à la connaissance de Dieu la maîtrise de soi, à la maîtrise de soi la persévérance, à la persévérance la piété, à la piété la fraternité, à la fraternité l’amour (2P 1,5-7) ». La fraternité advient au cours de ce processus qui inclut les étapes de connaissance intime de Dieu, de persévérance pour arriver à une vie spirituelle nommée ici piété. La fraternité est comprise comme un don de l’Esprit au sein des communautés chrétiennes où chaque membre s’investit en vue du bien commun dans un amour partagé. Il est d’ailleurs merveilleux de voir comment le Seigneur associe des personnes si diverses socialement et les rassemble dans une joie partagée parfois incroyable, au-delà des tensions sociales et ethniques comme ce fut le cas entre certains Hutus et Tutsis au cœur du génocide rwandais qui refusèrent la vengeance et la violence au nom de Jésus-Christ. La communion fraternelle dans la foi peut dominer des rivalités ancestrales quand la foi est ancrée par la « connaissance de Dieu » dont parle l’apôtre Pierre.
La fraternité est un pilier de la doctrine sociale de l’Eglise. Plus que jamais, il y a urgence à ce que les catholiques connaissent la doctrine sociale de l’Église, qu’ils l’étudient, qu’ils s’en emparent dans les situations professionnelles qu’ils vivent. Jésus-Christ nous demande d’être le levain dans la pâte et le sel de la Terre. Le levain donne au pain sa consistance et le rend mangeable. Le sel sublime le goût des aliments et, à l’époque de Jésus, il conservait la nourriture. Le chrétien peut apporter à la société par son travail et sa parole un surcroît de vie et de liberté, de clairvoyance et de charité. Son appel n’est pas d’être passif face aux défis mais de s’engager avec ardeur comme le firent les quatre fondateurs de l’Europe, tous chrétiens : Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi. Les trois derniers étaient des catholiques convaincus et leur foi inspira et soutint leur engagement politique. Aujourd’hui, il y a des catholiques engagés en politique dans tous les partis, ce qui peut sembler étonnant. Peut-être faut-il voir là un signe de l’universalité du message évangélique.
Je vous invite à voter car ce droit constitutionnel n’est pas donné à tous les humains dans le monde et il est, en Europe, respecté. Prions pour les hommes et les femmes qui se présentent aux élections. Prions afin d’être éclairés sur nos propres engagements politiques notamment dans nos communes rurales. Demandons la lumière de l’Esprit pour poser cet acte en faveur d’un avenir réconcilié. Et confions à Notre-Dame de Chartres ces élections prochaines : je vous salue Marie.