#283 « Quelle fraternité et quelle espérance face aux ombres de la société ? »

Nous sommes au cœur de la campagne des législatives et chacun parcourt sa circonscription afin d’attirer les voix hésitantes. L’enjeu est grand et le résultat n’est en rien garanti. Nous espérons des programmes et des projets car le vote ne peut être motivé par la peur et le refus de l’autre. Dans les nombreuses prises de paroles, je n’entends parler ni de fraternité, ni d’attention aux plus pauvres. Or la fraternité structure nos relations sociales et le pape parle d’amitié sociale comme fondement du bien commun, ce qui devrait intéresser toutes les personnes motivées par le fait politique. Aussi, je souhaite maintenant entreprendre la lecture de la lettre encyclique du pape François Fratelli tutti, publiée en 2020.

Ce texte présente huit chapitres. Dans son introduction, le pape François motive son intérêt pour la fraternité et la vision qu’il porte. En référence à saint François d’Assise, dont il a choisi le prénom pour lui-même, il approfondit les notions de fraternité et d’amitié sociale, deux termes différents qui se complètent avec une vigilance envers les blessés de la vie. N’est-ce pas le critère premier d’une société en bonne santé que la prise en compte de ceux et celles qui vivent à la marge des bienfaits de la croissance ? Le fait de la vie de saint François mis en valeur ici est son voyage à la rencontre du sultan Malik-el-Kamil en Égypte. François partit pauvrement, avec comme seule richesse sa foi en Jésus-Christ et sa conviction que l’Esprit le poussait à vivre une rencontre dont le ciment était l’amour de tout homme. La parole de Jésus qui l’obligeait à ce choix profond était « Dieu est Amour » et « celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu » (1Jn4,16). À l’époque déjà, des murs séparaient les gens, comme aujourd’hui où sont construits des milliers de kilomètres de murs pour empêcher la traversée d’une terre à une autre. François « s’est libéré de tout désir de suprématie sur les autres, il s’est fait l’un des derniers et a cherché à vivre en harmonie avec tout le monde » (FT 4). Il est devenu le modèle de l’humble disciple de Jésus et néanmoins audacieux dans le choix de ce voyage.

Quelle est l’intention du pape dans son encyclique ? Il dit que « les pages qui suivent n’entendent pas résumer la doctrine de l’amour fraternel, mais se focaliser sur sa dimension universelle, sur son ouverture à toutes les personnes » (FT 6) et il complète sa pensée en espérant que ses propos nous rendent « capables de réagir par un nouveau rêve de fraternité et d’amitié sociale qui ne se cantonne pas aux mots ». François est conscient du défi que cela représente, il parle d’une « fragmentation ayant rendu plus difficile la résolution des problèmes qui nous touchent tant ». Face à ce constat, il invite à rêver ensemble, puisque nous partageons une même humanité, « chacun avec la richesse de sa foi ou de ses convictions, chacun avec sa propre voix, tous frères » (FT 8).

Le pape commence par un premier chapitre intitulé les « ombres d’un monde fermé ». N’aurions-nous pas préféré une méditation sur ces merveilleux passages des actes des apôtres qui décrivent l’unité entre les premiers disciples de Jésus ? Commencer son propos en décrivant des faits qui entravent la fraternité est troublant, mais nous savons que le pape a connu des épisodes politiques et sociaux très durs, des temps de dictatures et des violences que l’on ne peut pas oublier si l’on veut avancer lucidement vers un avenir heureux. Il voyage partout et il écoute. Il parle donc du rêve d’une Europe unie et d’autres tentatives de rapprochement qui s’effritent sous la poussée de revendications territoriales et des nationalismes. En plus, quand on parle d’ouverture au monde, c’est au plan économique, afin de créer des réseaux financiers mondiaux, souvent au détriment de l’intérêt des personnes, particulièrement les petits peuples dont le poids politique est faible. Il évoque la « déconstruction » de l’histoire, de la conscience et du langage : « Un moyen efficace de liquéfier la conscience historique, la pensée critique, la lutte pour la justice ainsi que les voies d’intégration consiste à vider de sens ou à instrumentaliser les mots importants. Que signifient aujourd’hui des termes comme démocratie, liberté, justice, unité ? Ils ont été dénaturés et déformés pour être utilisés comme des instruments de domination, comme des titres privés de contenu pouvant servir à justifier n’importe quelle action (FT 14) ».

Comment construire un projet autour du « nous », opposé à l’égoïsme ?

La société et les médias insistent sur la méfiance, la polarisation, l’exaspération, la négation de penser différemment, l’arrogance du plus fort, la controverse et l’opposition quand il faudrait s’associer et prendre soin les uns des autres. Le succès imprévu du film Un p’tit truc en plus du réalisateur Artus montre que le ressort intérieur dans le cœur humain n’est pas brisé et qu’un témoignage d’une humanité réconciliée fait jaillir le meilleur et apporte du bonheur. Or la loi favorable à l’euthanasie trahit un rejet des personnes âgées ou malades et exprime une culture post-moderne qui qualifie la dignité de la personne en fonction de son autonomie et de son apport économique avec en arrière-plan l’insupportable coût financier du grand-âge. Si l’on annonce l’égalité entre tous, le pape relève « que les décisions et la réalité livrent à cor et à cri un autre message » (FT 23) : les femmes et les pauvres sont les premières cibles de ces discriminations. Beaucoup sont soumis à l’esclavage, à la prostitution, au trafic d’organes, à la violence des marchés illicites dans ce que le pape nomme « une troisième guerre mondiale par morceaux » (FT 25). On note une « détérioration de l’éthique ». Nos sociétés laissent sur le bord de la route, tel le malheureux de la parabole du bon samaritain, des millions de personnes abandonnées. Simultanément les décideurs favorisent une surproduction d’armes modernes aux coûts faramineux. Le pape note l’illusion que nous entretenons à « croire que nous pouvons être tout-puissants et oublier que nous sommes tous dans le même bateau » (FT 30). Ce « nous » collectif est le seul fondement en vue d’un avenir réconcilié et le pape évoque la place des migrants qui en toutes époques se sont déplacés, ce qui suscite encore des peurs, mais peut être source de richesse et de renouveau culturel à condition « de ne pas être privé du désir et de notre capacité de rencontrer l’autre » (FT 41).

Enfin, le pape parle des nouvelles technologies et des réseaux de communication. La majorité des hommes y sont reliés. Pourtant, c’est l’espace du contrôle des personnes et des populations, un lieu de manipulations, de formes de violence nouvelles et de mensonges, de fausses informations et de haines. Tout ceci est absolument contraire à la fraternité et à l’amitié. Où est la demande du Roi Salomon qui demande à Dieu « sagesse et connaissance » (2Ch 1,10) ? Certains œuvrent pour un projet juste sur les réseaux et il est bon de voir des chrétiens s’y investir. Mais nous sommes loin du compte si nous désirons qu’ils servent la liberté de chacun.

Le premier chapitre de cette longue encyclique s’achève par une espérance. Quelle est-elle ? Nous savons que « Dieu continue à répandre des semences de bien dans l’humanité » (FT 54). Le pape note qu’il y a de nombreuses personnes merveilleuses, altruistes, œuvrant pour une société fraternelle au service de chaque personne comme les soignants l’ont fait face au Covid. Il note que cette espérance « nous parle d’une soif, d’une aspiration, d’un désir de plénitude, de vie réussie, d’une volonté de toucher ce qui est grand, ce qui remplit le cœur et élève l’esprit vers les grandes choses, comme la vérité, la bonté et la beauté, la justice et l’amour » (FT 55). Nous verrons que le pape François illustre son encyclique par la parabole du bon samaritain, modèle de l’étranger solidaire du voyageur gravement blessé au bord du chemin. Nous aussi sommes interpellés pour apporter ce secours autour de nous.

Nous prions ces jours-ci en vue des élections en France. Nous sommes à neuf jours du vote, soit une neuvaine de supplication que nous ferons monter vers le Saint Esprit pour que tous soient emplis de sagesse. Prions maintenant.

Viens Esprit Saint illuminer le cœur des hommes de ce temps, qu’ils reçoivent de toi la vraie connaissance et la sagesse afin d’être au service de chacun, des petits et des pauvres.
Notre Père.

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