Ce prochain dimanche, le troisième du carême, est appelé dimanche de lætare, autrement dit en français, dimanche de la joie. Ce mot latin a donné le beau prénom Lætitia. Pour l’apôtre Paul, la joie est, après l’amour, le deuxième fruit du Saint Esprit (Gl 5,22). La joie peut se manifester par la gaieté mais n’est-elle pas autre chose, une émotion plus profonde voire un état intérieur heureux et durable ? Comment découvrir la joie dont parle l’Écriture ? Paul est d’ailleurs provocant quand il nous enjoint d’être dans la joie : « soyez toujours dans la joie du Seigneur ; je le redis : soyez dans la joie » (Ph 4,4-5). Il n’est pas aisé de proposer une voie droite pour atteindre ce but. Une santé chancelante, les épreuves de la vie, des difficultés, peuvent nous affecter et nous plonger dans la tristesse. La joie advient lorsque nous sommes en harmonie avec notre vocation profonde, c’est-à-dire lorsque nos pensées et nos actes s’accordent avec ce pour quoi nous existons selon le plan divin. Certes l’accomplissement de certaines choses peut procurer de grandes joies. Cependant la joie n’est-elle pas plutôt reliée à l’être qu’au faire ? Le contexte de la vie concrète la rend parfois difficile, voire impossible quand l’avenir nous semble sombre. Pourtant si je peux me connecter intérieurement avec Celui qui est la paix, j’entre dans un état intérieur de joie qui permet de voir la vie avec espérance et de goûter l’instant présent comme un don inouï du Père. Cet état positif m’invite par exemple à contempler la nature joyeusement s’il pleut : la pluie est un bienfait pour la terre. Au cœur des difficultés, je prends conscience de ne pas être seul, je suis accompagné par la bienveillance de Dieu qui met sur mon chemin de belles personnes, qui m’ouvre à ses dons gratuits et qui me fait reconnaître que je suis vivant. Aussi je vous souhaite de commencer cette journée avec reconnaissance, de vous confier au Seigneur, de voir les gens proches de vous comme des cadeaux, de vous dire que l’échec est une étape vertueuse sur l’échelle de la réussite, une opportunité pour apprendre et grandir. Et si, par bonheur, il n’y a pas d’ombre aujourd’hui dans votre vie, offrez un peu de vous-même à quelques amis soucieux ou malades qui seront touchés par un appel. C’est en donnant que l’on reçoit.
Ce dimanche de lætare, la liturgie eucharistique revêt de rose le prêtre officiant et pare l’autel et l’ambon de fleurs en signe de joie. L’équipe liturgique pourra user du son des instruments. Ce jour particulier est comme une pause sur le chemin escarpé de la conversion et de l’union à Jésus pour célébrer dans quelques jours sa passion et sa résurrection. Le carême n’est pas un but en soi, une réussite à accomplir, mais un temps de préparation, une montée vers Pâques. Si nous faisons certains efforts, notamment pour vivre une joyeuse sobriété agrémentée de charité, c’est pour être plus proche de Jésus-Christ dans sa propre pérégrination vers Jérusalem où il entre acclamé mais où il sera arrêté, jugé et condamné à mort. Nous sommes associés de manière intime et bien réelle à son sacrifice puisque l’Église dont nous sommes les pierres vivantes est le corps du Christ et qu’Il en est la tête.
Lorsqu’il y a des catéchumènes et que le second scrutin est célébré en paroisse, alors nous prenons l’évangile de l’aveugle né guéri par Jésus, que saint Jean raconte (Jn 9). Cet homme adulte n’a jamais vu la lumière du jour et il a entendu parler des guérisons que Jésus opère. La guérison elle-même se déroule en deux versets : « cela dit, il – c’est Jésus – cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé. L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait. » (Jn 9,6-7) Curieusement l’homme n’avait rien demandé à Jésus, il ne lui avait pas parlé. Il n’avait pas crié comme Bartimée, lui aussi aveugle, : « Fils de David, aie pitié de moi ! » Jésus voulait le libérer et enseigner ses apôtres qui pensaient, comme c’était fréquent à cette époque, que sa cécité venait de son péché. Non, il n’avait pas péché, ni lui ni ses parents, affirme Jésus. Le récit se poursuit par une discussion animée entre les pharisiens et cet homme, mais aussi ses parents. Les autorités veulent savoir qui l’a guéri et comment. En effet, elles s’opposent à l’action de Jésus, veulent le prendre en faute pour l’accuser et le condamner. Cet aveugle dorénavant voyant fait même preuve d’humour quand il est interrogé sur sa guérison avec condescendance : « Je vous l’ai déjà dit, et vous n’avez pas écouté. Pourquoi voulez-vous m’entendre encore une fois ? Serait-ce que vous voulez, vous aussi, devenir ses disciples ? » (Jn 9,27) L’homme exprime avec bon sens sa foi en Jésus « si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. (Jn 9,33) » Cela ne peut qu’insupporter les responsables religieux qui l’insultent avant de le laisser tranquille.
Finalement, advient un dernier dialogue entre cet homme dont on ignore le nom et Jésus. « Crois-tu au Fils de l’homme ? » lui dit Jésus. Et cet homme de répondre : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? ». Jésus ajoute alors : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. » Alors l’évangéliste rapporte la parole de foi de cet homme guéri : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui, geste d’adoration que l’on réserve à la divinité. Jésus loue son Père d’avoir révélé aux petits et aux pauvres son mystère de salut. C’est bien la situation de cet homme qui voit et reconnaît en Jésus son Sauveur et son Dieu. Pour lui, une vie nouvelle commence comme une nouvelle naissance. « L’homme peut-il naître de nouveau ? » avait dit Nicodème à Jésus (Jn 3,4). Oui, cela est possible à toute personne qui s’ouvre à la grâce. L’aveuglement peut être physique, il est plus souvent intérieur. Nous fabriquons des murs sur lesquels ensuite nous nous heurtons, comme un hamster dans sa cage. Nous ne voyons plus la vraie lumière et nous nous contentons des lumières artificielles qui n’apportent pas une joie authentique. Ces murs peuvent prendre la forme de formules, inconscientes souvent, qui témoignent d’une résignation : « je n’y arriverai jamais » ou « ce n’est pas pour moi », ou encore « je ne suis pas aimable ». Appelons Jésus pour être libéré. Prenons conscience des paroles négatives que nous cultivons en nous-mêmes, qui nous entravent et peuvent même nous empêcher de vivre en présence des autres. Demandons au Saint Esprit le don de la joie pour faire face à ces murs et les franchir pour découvrir une nouvelle liberté.
Avec nos catéchumènes en ce dimanche, osons choisir la joie spirituelle en nous mettant en prière, en reprenant ce bel évangile et en méditant en présence de Jésus. La collecte de la liturgie dominicale, c’est-à-dire la prière qui précède les lectures et qui a pour but de rassembler toute l’assemblée dit : « Dieu éternel et tout-puissant, multiplie les membres de ton Église dans la joie spirituelle ; puisque, par leur naissance, ils appartiennent à la terre, fait que par leur nouvelle naissance, ils appartiennent au ciel. » Au Ve siècle, Saint Augustin évoquait la cité d’en bas, celle des hommes et la cité d’en-haut, celle vers laquelle nous allons où Dieu nous attend. Nous goûtons déjà, comme par anticipation, à la béatitude céleste. La création qui s’éveille, ce sera bientôt le printemps, est un espace merveilleux d’éveil à la beauté des choses et de nous-mêmes. Nous sommes des créatures placées au milieu du jardin pour en humer les senteurs et en voir les beautés. Courons-y comme la bien-aimée du Cantique des Cantiques.
Les scrutins de ce dimanche sont un exorcisme pour soutenir l’engagement de nos frères et sœurs qui préparent leur baptême. Il s’agit d’arracher le péché en vue de la liberté des enfants de Dieu. La préface de la messe dit : « par le mystère de son incarnation, Dieu a guidé vers la clarté de la foi l’humanité qui marchait dans les ténèbres ; et par le bien qui fait renaître, il a élevé à la dignité de Fils, en les adoptant, ceux qui était nés esclaves du péché ». La source de cette vie nouvelle est la présence de Jésus venu dans la chair, l’incarnation, qui s’offre jusqu’au bout dans sa passion pour prendre sur lui le péché du monde et nous offrir de vivre ressuscité en vue de la vie éternelle. Le Fils, Jésus, s’est fait péché pour prendre sur lui le péché des hommes et nous en libérer. Nous ne sommes pas créés pour être esclaves des hommes ou du péché qui conduit à la mort. Nous sommes vivants pour vivre déjà en enfants de Dieu.
Concluons joyeusement et conservons en nous la joie de l’Esprit. En guise de méditation et de prière, je vous propose le texte de sainte Thérèse d’Avila intitulé « Dieu seul suffit »
Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout.
Celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit.
Élève ta pensée, monte au ciel, ne t’angoisse de rien, que rien ne te trouble.
Suis Jésus Christ d’un grand cœur, et quoi qu’il arrive, que rien ne t’épouvante.
Tu vois la gloire du monde ? C’est une vaine gloire ; il n’a rien de stable, tout passe.
Aspire au céleste, qui dure toujours ; fidèle et riche en promesses, Dieu ne change pas.
Aime-Le comme Il le mérite, Bonté immense ;
mais il n’y a pas d’amour de qualité sans la patience.
Que confiance et foi vive maintiennent l’âme :
celui qui croit et espère obtient tout.
Même si lui viennent abandons, croix, malheurs,
si Dieu est son trésor, il ne manque de rien.
Allez-vous-en donc, biens du monde ;
allez-vous-en, vains bonheurs : même si l’on vient à tout perdre,
Dieu seul suffit.