En priant afin de préparer ce message, j’ai reçu ce verset : « l’agneau sera leur pasteur pour les conduire vers les eaux de la source de vie. » (Ap 7,17) N’est-ce pas une belle introduction pour ce carême 2024, temps de simplification et de purification pour aller à la rencontre de Celui qui offre sa vie, qui meurt crucifié et qui ressuscite ayant vaincu la mort et nous conférant le salut en vue de la vie éternelle ? Ces « eaux de la source de vie » ne sont-elles pas l’amour qui coule du cœur brûlant de Jésus tel qu’il l’a montré à sainte Marguerite-Marie ? « Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes » lui dit-il.
Depuis mercredi, nous sommes entrés en carême. Or ce jour-là était fêté Saint-Valentin, soit la fête des couples amoureux et nous espérons que ceux-ci ont su concilier avec bonheur la liturgie pénitentielle d’entrée en carême et une « liturgie » amoureuse pour se redire l’amour que l’on se porte. Si le jeûne alimentaire était de rigueur, rien ne limite l’amour partagé. Je souhaite une bonne fête aux amoureux, souhaitant qu’ils fondent leur projet sur le Christ, source de tout amour.
La liturgie des cendres donne à entendre un passage de l’évangile qui présente les trois composantes du carême : la prière, le partage et le jeûne. Le catéchisme explique : « L’Écriture et les Pères insistent surtout sur trois formes: le jeûne, la prière, l’aumône (cf. Tb 12, 8; Mt 6, 1-18), qui expriment la conversion par rapport à soi-même, par rapport à Dieu et par rapport aux autres » (CEC 1434). Le partage peut prendre la forme d’une aumône ou toute forme de dons en nature ou en espèces, principalement destinés aux personnes nécessiteuses. Le catéchisme dit encore : « ces temps sont particulièrement appropriés pour les exercices spirituels, les liturgies pénitentielles, les pèlerinages en signe de pénitence, les privations volontaires comme le jeûne et l’aumône, le partage fraternel (œuvres caritatives et missionnaires) » (CEC 1438).
Depuis quelques semaines, je vous ai écrit sur la prière afin que nous approfondissions notre relation au Seigneur comme préparation au grand jubilé romain de 2025. Or la prière et le jeûne peuvent-ils être associés pour porter un beau fruit spirituel ? Le jeûne chrétien n’a pas comme but de modifier sa silhouette, même s’il peut y contribuer. Le jeûne oriente la vie du chrétien vers l’union à Dieu en l’encourageant à louer et prier aux intentions du monde. Dans la Bible, nous lisons des récits dans lesquels le jeûne tient une place importante, celui que choisit de vivre la reine Esther est très significatif. Son peuple, les juifs, déportés à Babylone dans l’empire du roi Assuérus devenu son époux, est menacé d’extermination par la loi promulguée par le ministre Amane, homme jaloux. Esther est encouragée par Mardochée, un homme bon et fidèle à la loi des hébreux devenu comme un père adoptif pour elle, à se rendre auprès du roi pour plaider la survie du peuple. Or quiconque se rend devant le roi sans y être convié, fut-il son intime et même son épouse, est condamné à mort sauf si le roi tend son sceptre. Esther, vit trois jours dans la crainte de Dieu, demande que tous ses frères juifs jeûnent de nourriture et de boisson et prient intensément. Elle se couvre de cendres, ne mange pas et dort sur le sol. À l’issue des trois jours, s’étant revêtue de beaux habits, elle ose aller devant son époux et sauvera son peuple. Le récit est d’ailleurs merveilleux et je ne peux que vous inciter à en lire le texte palpitant (livre d’Esther). Elle vainc, par le jeûne et la prière, la mort et le mal orchestré par Amane qui finira pendu. Ne serait-il pas nécessaire que les chefs d’État en fassent autant face aux crises menaçantes ? Puisqu’ils ne le font pas, n’est-ce pas à nous chrétiens de le faire ?
Qu’est-ce que le jeûne pour Jésus ? Il le vit lui-même comme tout juif et il ouvre son ministère par son jeûne au désert. Jésus dit que jeûner est nécessaire pour avoir la victoire sur certains esprits impurs. À son époque, il est fréquent que les juifs jeûnent et les pharisiens reprochent aux disciples de Jésus de ne pas jeûner comme eux. Alors Jésus leur répond : « les invités de la noce pourraient-ils jeûner, pendant que l’Époux est avec eux ? Tant qu’ils ont l’Époux avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais des jours viendront où l’Époux leur sera enlevé ; alors, ce jour-là, ils jeûneront. » (Mc 2,19-20) Que veut-il nous dire ? Jésus est l’époux de l’Église. Après sa résurrection et son ascension, il retrouve la Gloire qu’il avait auprès de Dieu son Père, tout en demeurant toujours avec nous. Sa présence physique n’est plus, et pourtant il est avec chacun de nous par son Esprit qui est Dieu. Jésus est la tête de l’Église, simultanément présent en Dieu et comme tête de l’Église, son Corps dont chaque baptisé est un membre.
Faut-il jeûner puisqu’il demeure avec nous La Tradition de l’Église encourage les fidèles à jeûner pour imiter Jésus qui reste quarante jours au désert sans manger afin de vaincre Satan et préparer sa vie publique. Le jeûne s’inscrit dans le temps liturgique, pour les catholiques durant le carême ainsi que les vendredis en rappel de la Passion. Dans les églises orthodoxes, les fidèles vivent parfois plusieurs périodes de jeûne. Nous jeûnons en vue d’une sobriété choisie face aux tentations et d’une union plus profonde dans la prière. Le jeûne par la privation volontaire de nourriture associe les fidèles à la vie de ceux qui peinent pour se nourrir dans certaines régions du monde. Il rend le corps plus léger et l’esprit plus vif afin que le chrétien ait une authentique attention aux besoins d’autrui.
Comment Jésus invite à jeûner ? « Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage. ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra » (Mt 6,16-18). Voici le projet demandé par Jésus à vivre dans le secret. Pourquoi ce secret ? Car la fécondité de notre vie spirituelle passe par un don personnel de Dieu fait à celui qui s’applique à ce cœur à cœur avec son Seigneur. Le carême n’est donc pas le ramadan des chrétiens, car il est bien le contraire d’une attitude ostentatoire et publique. Cela rend le carême difficile à vivre car le choix de jeûner, de prier et de partager est à faire seul et librement, en vue d’un bien inconnu des autres, par amour de Dieu et du prochain. Il y a une gratuité qui est la réponse à cette invitation de Jésus : « vous avez reçu gratuitement : donnez gratuitement » (Mt 10,8).
Jésus priait la nuit, seul, sans même le dire aux apôtres avec qui il partage pourtant le quotidien. Depuis deux mille ans, beaucoup de fidèles l’imitent. Des laïcs font le choix de prier la nuit, se lèvent discrètement et se confient à Dieu. Quelques uns font le choix d’une vie érémitique, ce qui signifie qu’ils s’isolent en un lieu désert, à l’écart, dans une simple maison voire une grotte et, face à la nature, ils consacrent leur vie à la prière, parfois à l’accueil de personnes qui recherchent auprès d’eux sagesse et conseil. Quand les humains se reposent, souvent le nuit, ils intercèdent pour la société, luttant aussi contre les forces obscures du mal. Ils portent le monde et le présentent à Dieu.
Nous pouvons aussi faire l’expérience de cette écoute, à condition de prendre du temps pour l’oraison et la contemplation. Il y a comme une dîme de notre temps à offrir au Seigneur, donc un choix à faire dans l’agenda quotidien. Quand nous nous rendons disponible, l’Esprit soupire en nous ses mots d’amour qui remontent à notre conscience dans le silence de la prière. L’Esprit nous unit au Christ. En étant attentif dans cette conversation intime, nous retenons quelques mots qui sont comme des balises pour notre chemin quotidien. Le jeûne est bénéfique : il évite la somnolence des excès de nourriture. Il nous permet de faire l’expérience de la faim et modifie notre attention.
Nous sommes invités à jeûner avant la messe. Le droit canonique dit : « Qui va recevoir la très sainte Eucharistie s’abstiendra, au moins une heure avant la sainte communion, de prendre tout aliment et boisson, à l’exception seulement de l’eau et des médicaments (CIC 919,1) ». D’aucuns pourraient dire que comme la messe dominicale dure une heure généralement et que la communion est à la fin de la célébration… Mais essayons au moins de nous préparer à la messe par un temps de prière et de silence. Ne serait-il pas merveilleux que les fidèles choisissent d’être en silence dans nos églises quelques minutes avant le chant d’entrée ? Ne faut-il pas retrouver ce bon silence qui convient aux lieux saints que sont nos églises et chapelles ? En ce carême, les prêtres célébrant la messe pourront offrir un temps significatif de silence, sans musique ni chant, après la communion afin que chacun fasse une belle action de grâce.
Le pape François invite souvent à une journée de jeûne et de prière face aux guerres et autres drames. Il a aussi proposé en 2017 des formes de jeûne originales que je vous propose en guise de méditation et de prière :
« Je recommande ce qui suit comme le meilleur jeûne pendant ce Carême :
– Jeûnez de mots offensants et transmettez seulement des mots doux et tendres.
– Jeûnez d’insatisfaction, d’ingratitude et remplissez-vous de gratitude.
– Jeûnez de colère et remplissez-vous de douceur et de patience.
– Jeûnez de pessimisme et soyez optimistes.
– Jeûnez de soucis et ayez confiance en Dieu.
– Jeûnez de lamentations et prenez plaisir aux choses simples de la vie.
– Jeûnez de stress et remplissez-vous de prière.
– Jeûnez de tristesse et d’amertume, et remplissez votre cœur de joie.
– Jeûnez d’égoïsme, et équipez-vous de compassion pour les autres.
– Jeûnez d’impiété et de vengeance, et soyez remplis d’actes de réconciliation et de pardon.
– Jeûnez de mots et équipez-vous de silence et de la disponibilité à écouter les autres.
Si nous pratiquons tous ce style de jeûne, notre quotidien sera rempli de paix, de joie, de confiance les uns dans les autres et de vie.
Ainsi soit-il. »