Nous rappelons-nous de l’évangile selon saint Matthieu proclamé lors de la messe du mercredi des cendres ? Jésus invite ses disciples, en l’occurrence chacun de nous, à approfondir notre communion avec lui et entre nous. Quelles attitudes propose-t-il ? Il y en a trois : la prière, le partage et le jeûne.
Or au cours de la liturgie des trois scrutins que les catéchumènes reçoivent, pendant le temps du carême, nous entendons trois récits importants de l’évangile de saint Jean : la rencontre au puits de Jacob entre Jésus et une femme samaritaine, la guérison d’un homme aveugle de naissance et enfin la résurrection de Lazare. Pour réfléchir à la notion de la prière, prenons le récit de cette rencontre improbable entre Jésus et cette femme de Samarie.
La Samarie est une région au nord de Jérusalem dans les monts de Judée qu’un juif, à l’époque du Christ, n’osait pas traverser. Des violences pouvaient surgir à cause de l’animosité ancestrale opposant samaritains et juifs. Une division théologique avait séparé ces populations, et tous cultivaient un fort sentiment de rejet qui n’acceptait pas d’exception. Jésus aurait pu cheminer à pied par l’Est du pays, le long du Jourdain : il prend délibéremment la route plus directe qui traverse le pays des samaritains. L’été y est très chaud et c’est à midi qu’il veut se reposer au bord du puits de Jacob invitant ses disciples à aller chercher quelques nourritures au village voisin. Là une femme vient seule en portant sa cruche. Assurément à cette heure, elle cherche à éviter les rencontres et le texte nous dira ensuite que sa vie était bien difficile, qu’elle avait eu cinq maris et que celui avec qui elle partageait sa vie n’était pas son époux. À sa surprise, c’est Jésus qui lui dit « donne-moi à boire ! ». Or à cette époque, un homme juif ne parlait pas à une femme seule, encore moins à une samaritaine. Cette dernière est touchée par les paroles de Jésus, empreintes de douceur et de respect, sans jugement sur sa vie de femme de mauvaise réputation. Sûrement ce que dit Jésus doit être énigmatique pour elle : « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : “Donne-moi à boire”, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. » (Jn 4, 10) Quelle est cette eau vive ? « Où pourrais-tu la puiser, puisque tu n’as pas de cruche ? » dit-elle. Pourtant Jésus insiste, forçant la raison de la femme et touchant sa sensibilité : « Quiconque boit de cette eau aura de nouveau soif ; mais celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle. » (Jn 4, 13-14)
La discussion, en vérité, les conduit à parler de l’adoration. La samaritaine ne manque pas de hardiesse, comme si son âme blessée par une vie d’égarement trouvait dans cet échange une porte entrouverte à l’espérance. C’est elle qui pose cette question : « Eh bien ! Nos pères ont adoré sur la montagne qui est là, et vous, les Juifs, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. » (Jn 4, 20) Chacun avait son lieu. Or Jésus vient bouleverser ces coutumes. Il lui dit « l’heure vient – et c’est maintenant – où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et vérité : tels sont les adorateurs que recherche le Père. Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent, c’est en esprit et vérité qu’ils doivent l’adorer. » (Jn 4, 23-24) Ainsi, l’adoration, prière faite de respect pour la grandeur de Dieu, d’écoute des motions du Saint Esprit, d’actions de grâce pour les bienfaits reçus (à commencer par le fait d’être vivant), de louange qui appelle notre chant, n’est plus liée à un lieu : elle est vécue « en esprit et en vérité », dans la connaissance de la présence de Dieu en nous. L’adoration est en tout lieu et en tout instant. Son instinct et sa sensibilité disposent la femme à écouter. Elle ouvre son cœur et lui permet de se livrer, détaillant en partie sa vie, son quotidien. Jésus, lui révèle qu’il connaît déjà son histoire. Émue, elle devine qu’il pourrait bien être le messie que tous attendent. Une nouvelle vie commence pour elle, elle ira proclamer à tous les habitants de son village l’extraordinaire dialogue qu’elle vient d’avoir avec ce rabbi Jésus.
L’adoration est bien la juste attitude à cultiver durant ces semaines de carême. La prière appelée « oraison », du latin orare signifiant prier, est une nécessité pour que croissent notre foi, notre espérance et notre charité. Pouvons-nous mettre en place durant tout ce carême un rendez-vous quotidien avec le Seigneur ? Si certains ont la chance d’habiter à quelques pas d’une église et que celle-ci est ouverte, ils peuvent s’y rendre pour trouver le silence. Ce peut être une merveilleuse façon de commencer la journée. Beaucoupchoisiront de se « retirer dans leur chambre », loin du bruit quand la vie familiale le permet, peut-être avant le réveil des enfants. À l’instar de la grande mystique sainte Thérèse d’Avila, on peut prendre un livre, l’évangile, ou un livre de textes spirituels, pour commencer à occuper l’esprit de saintes pensées et pour avoir quelques supports écrits pour parler à Jésus, car nous n’allons à Dieu le Père que par Lui. Ensuite, peu à peu, en ayant la posture physique qui convient, détendu sans être indolent, chacun fera silence pour laisser l’Esprit conduire ce moment, nous inspirer des mots à dire à Dieu, des demandes à lui exprimer, surtout pour être à l’écoute de quelques intuitions ou motions qui seront collectées avec soin dans la mémoire pour être comme notre guide durant la journée. Il est fort probable que quelques distractions arrivent, notre esprit ayant ce don merveilleux de s’envoler ailleurs. Sans s’inquiéter ni se culpabiliser de perdre le fil de la prière, nous reprendrons avec humilité le chemin de la communion avec Dieu. Enfin, pour achever notre oraison, nous ferons monter vers le Seigneur quelques mots d’action de grâce et une décision concrète pour le jour qui vient.
Un fruit de l’adoration est la communion entre le Seigneur et nous, alors notre foi s’en trouve grandie. Nos affections et nos sentiments en sont éclairés et plus maîtrisés. Face à un événement contrariant, même lorsque des sentiments négatifs jaillissent en nous, nous voilà aptes à faire silence, à analyser ce qui se passe en nous, à choisir une parole d’apaisement pour que notre relation aux autres demeure dans l’amour et qu’aucune parole incontrôlée n’aille agresser et blesser nos proches. Habitué à prier, notre cœur est plus à même de gérer les situations inattendues voire désagréables. Là où la colère pouvait venir, nous apprenons à composer avec le réel en le confiant à la providence de Dieu sans en faire un drame quand les faits sont douloureux. C’est un chemin nouveau de vie, un art de vivre dans la lumière et la bienveillance. Les nouveaux convertis en font souvent l’expérience et ils voient combien « notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en lui » (saint Augustin). Cet art de vivre en paix est aussi un témoignage fort, à notre insu souvent, et les gens qui nous voient sont possiblement intrigués au point de nous interroger sur la nature de notre ressort intérieur. Pour nous, baptisés, il a le nom de Jésus que nous pouvons annoncer à ceux qui nous demandent de rendre compte de notre foi, nous leur présenterons Jésus comme on introduit un ami à des amis.
Je conclus ce message à Montligeon, ce lieu situé au cœur du Perche, sanctuaire où monte une prière pour les âmes du purgatoire, là où tant de pèlerins viennent confier leurs défunts à la miséricorde divine. Ceux qui ne connaissent pas ce site pourraient imaginer un sanctuaire sombre où le deuil et les larmes habillent de tristesse les personnes présentes. Certes l’intention est émouvante, mais ô combien l’espérance est là quand nous levons les yeux et regardons le Ciel. Dans la grande basilique, c’est Notre-Dame qui nous accueille. Elle est un soutien merveilleux et elle indique le chemin de l’éternité. C’est donc ici, en cette fin février, que quarante couples de fiancés vivent un week-end d’échange, de formation et de prière pour se préparer au sacrement du mariage et à leur future vie conjugale dans la lumière de Dieu. L’ambiance est à la joie, portée par des chants de louange, à l’échange et à la découverte mutuelle. Ici, on a placé les smartphones en mode avion. Peu à peu, chacun entre dans la confiance et s’approche de Jésus présent par ses paroles. Certains ne sont pas baptisés et d’autres ne croient pas en Dieu. Un message spécial de bienvenue leur a été transmis, pour que chacun se sente accueilli tel qu’il est. Jésus est notre lumière, source de notre joie et de notre paix, et nous expliquons qu’il désire le bonheur de ces couples. Le projet est bien missionnaire car que donner de mieux que l’évangile qui affirme l’amour de Dieu pour tous ? Ces deux jours ont permis beaucoup d’échanges et de découvertes. Les témoignages donnés et l’écoute offerte ont conduit bien des personnes sur la voie nouvelle d’une vie dans la lumière de Dieu. Il sera nécessaire de les accompagner pour que la semence plantée en terre prenne racine et ne soit pas asséchée. À chaque paroisse de mettre en place ce mode d’accompagnement et de formation.
Maintenant, nous prions et confions au Seigneur nos résolutions de carême.
Seigneur, nous recherchons ta face et te demandons de te révéler à chacun de nous. Puissions-nous vivre avec toi au quotidien. Tu connais nos joies et nos peines, nous te les confions.
Seigneur, tu es le Père éternel de chacun de nous, prends soin des catéchumènes admis par l’appel décisif en vue des sacrements de l’initiation qu’ils recevront lors de la vigile pascale. Comble-les de ta grâce pour qu’ils ne défaillent pas en chemin et qu’ils trouvent dans l’Église une fraternité accueillante.
Enfin Seigneur, si souvent, nous apprenons la maladie voire la mort d’un ami ou d’un membre de nos communautés chrétiennes, sois notre secours en ce moment douloureux, afin que notre foi les accompagne.
Avec la Vierge Marie, nous te remettons notre chemin de carême.
Je vous salue Marie…