Aujourd’hui, je suis à Lourdes avec mes frères évêques et les laïcs qui travaillent avec nous au service de la conférence des évêques de France. Revenir auprès de Notre-Dame et sainte Bernadette, prier devant la grotte de Massabielle, célébrer l’eucharistie tous ensemble autour du même autel, source de notre communion, me donne à chaque fois une émotion qui me rappelle le don de Dieu et notre vocation à servir l’Église universelle. Il est vrai qu’en ce sanctuaire des fidèles du monde entier viennent en pèlerinage et manifestent la dimension catholique de notre foi. Vous êtes nombreux à prier pour notre assemblée et je vous en remercie. Les sujets ne manquent pas, certains sont graves et lourds à porter, nous les abordons avec la certitude que le Saint Esprit nous guide et veut purifier l’Église du péché de ses membres, et avec la joie de savoir que nous travaillons pour un but supérieur, rassembler les hommes et les femmes pour que le Royaume de Dieu soit manifesté au plus grand nombre, un royaume de paix et d’amour lorsque certains choisissent la guerre. Si nous avons connaissance du projet divin, nous sommes encouragés à beaucoup prier pour la paix. Le faisons-nous réellement avec zèle ?
À Fatima, au Portugal, où la Vierge Marie apparut en 1917 à trois enfants, dans le deuxième “secret” que Marie donne à Lucie, est annoncée une nouvelle guerre pire que la première guerre mondiale. Ce fut sûrement l’annonce de la seconde guerre mondiale, de 1939 à 1945. La Vierge Marie demandait de consacrer la Russie à son Cœur immaculé pour éviter que le pays ne répande « ses erreurs à travers le monde » en détruisant des nations. « Si on accepte mes demandes, dit la Mère de Dieu, la Russie se convertira et l’on aura la paix. » En la basilique saint Pierre de Rome, le pape François a consacré la Russie le 25 mars 2022 à la Vierge Marie, et tous les évêques s’y sont associés. Cette prière est une étape de foi, à l’écoute de l’appel de Dieu pour sauver la Russie du mal qu’elle peut faire, et surtout sauver l’humanité des conséquences d’une nouvelle guerre commencée en Ukraine et qui pourrait peu à peu prendre une ampleur insoupçonnée. À Lourdes, je prierai en ce sens la Vierge Marie et vous demande de porter cette intention pour la paix dans le monde par vos chapelets et votre prière. Nous pourrions penser que ces drames sont loin et ne nous atteindront pas, mais le mal est parfois contagieux. L’histoire l’a assez montré. Et surtout nous ne pouvons rester indifférents au sort de tous ceux qui sont touchés par cette guerre.
Vendredi dernier, avant la fête de la Toussaint, je vous parlais du passage de la vie terrestre au Ciel, de la vie des saints et des saintes que nous aimons prier, et qui sont associés à nos vies dans la communion des saints. Ils accompagnent notre itinéraire vers la félicité éternelle. Quand on parle du Ciel, nous ignorons parfois ce que sont les « temps derniers », c’est-à-dire le retour glorieux de Jésus-Christ à la fin des temps. Lui-même dit que seul le Père en connaît le jour et l’heure. Sa venue se fera à l’improviste, elle nous surprendra tous. Certains seront prêts et d’autres non. Certains seront pris pour aller avec Jésus, d’autres seront rejetés. Cette perspective n’est pas réjouissante, elle peut même nous effrayer, mais il nous faut nous fier aux paroles de Jésus plus… qu’à celles de Polnareff. Nous croyons en la miséricorde de Dieu. Pourquoi le Christ ne viendra-t-il pas nous prendre tous pour l’éternité bienheureuse puisqu’il est venu pour le salut de tous les hommes ? Qu’en dit l’Écriture ?
Le concile Vatican II parle de ce moment dans un texte sur l’Église, appelé Lumen Gentium, que l’on traduit par « la lumière des peuples ». Citons ce passage du chapitre 48 : « L’Église, à laquelle dans le Christ Jésus nous sommes tous appelés et dans laquelle par la grâce de Dieu nous acquérons la sainteté, n’aura que dans la gloire céleste sa consommation, lorsque viendra le temps où sont renouvelées toutes choses (Ac 3, 1) et que, avec le genre humain, tout l’univers lui-même, intimement uni avec l’homme et atteignant par lui sa destinée, trouvera dans le Christ sa définitive perfection (cf. Ep 1, 10 ; Col 1, 20 ; 2 P 3, 10-13). » Ce texte dit qu’il y aura un temps pour la perfection, et nous pouvons dire qu’il s’agit de la perfection dans la charité puisque, selon saint Paul, « seule la charité restera ». Ce sera pour les hommes et les femmes sauvés de la mort et vivants en Christ la vision de Dieu, que l’on appelle la vision béatifique. Nous verrons Dieu face à face et nous serons plongés en lui, donc immergés en son infini amour, un amour qui réchauffe, qui comble, sans consumer et sans détruire. Saint Pierre dans sa Lettre parle de ce moment avec l’expression « les cieux nouveaux et la terre nouvelle » (2P 3, 13), car alors Ciel et Terre chanteront la louange du Seigneur, car toute la création sera saisie par le salut. Tout sera accompli « sous un seul chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres » (Ep 1,10)
Pour chacun de nous qui sommes passés par le creuset souvent éprouvant de la vie terrestre, nous est faite une promesse que saint Jean exprime par ces mots : « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux ; de mort, il n’y en aura plus ; de pleurs, de cri et de peine, il n’y en aura plus, car l’ancien monde s’en est allé » (Ap 21, 4). Là, nous formerons la communauté des rachetés, la Cité Sainte de Dieu (Ap 21, 2), l’Épouse de l’agneau. Là se vivra, comme en un éternel présent, une parfaite communion entre les hommes et les femmes rachetés et tous les anges, autour de l’agneau, le Christ. Ce sera une étreinte sans limite et pure, un don réciproque total, un échange parfait pour que tous, surtout ceux qui ont souffert, trouvent la paix, à l’instar du pauvre Lazare : « maintenant, lui, il trouve ici la consolation » (Lc 16, 25) Un autre texte du Concile Vatican II dit dans Gaudium et spes : « Dieu nous prépare une nouvelle terre où régnera la justice et dont la béatitude comblera et dépassera tous les désirs de paix qui montent au cœur de l’homme. » Il n’y aura rien de plus désirable. Nos âmes seront réunies à nos corps glorieux par l’acte créateur de Dieu. La communion parfaite ne supprimera pas notre individualité mais chacun vivra uni à toute l’humanité rachetée comme frères et sœurs, tous enfants de Dieu.
Trouvons-nous désirable cet avenir ? Faisons-nous le choix de vivre une vie nouvelle en Christ pour nous y préparer ? Sommes-nous consciencieux comme les vierges sages de la parabole ou vaquons-nous dans l’indifférence à cet appel comme les vierges folles (Cf. Mt 25, 1-13) ? La vie chrétienne n’est pas un chemin de peur puisque nous avons conscience que la liberté que Dieu donne nous engage à choisir le chemin de la vie. Notre liberté est au service de ce bien ultime. Certains, l’ayant détournée de sa finalité, en abusent par une vie de désordre. Un jour, nous devrons rendre compte de nos actes. N’y a-t-il pas une joie merveilleuse à vivre dès maintenant dans la lumière divine, qui peut être comparée à la lumière émise par le soleil qui éclaire toutes les choses qui nous entourent et nous permet d’en voir les formes et les couleurs ? Sans cette lumière astrale, nous serions dans le noir en permanence. De manière analogique, vivre dans la lumière de l’Esprit transforme notre vision des rapports humains et cela permet de voir la direction à prendre pour une vie au service du bien de tous, dans l’entraide et le partage, dans la force du cœur face aux épreuves. L’Esprit est lumière et sa lumière n’a pas de limite pour celui qui ouvre toujours plus largement son cœur à son action. Cela mérite notre effort qui est léger face aux nombreux fruits promis dont parle saint Paul, fruits d’amour et de paix, de joie et de bonté.
Prions avec confiance Notre-Dame, mère de bonté qui intercède pour nous. Je vous propose cette belle prière traditionnelle du « Souvenez-vous » en latin « Memorare, o piissima Virgo Maria », composée par saint Bernard de Clairvaux au XIIe siècle, que j’entendais à l’abbaye de Sept-Fons où elle est chantée en grégorien chaque soir après vêpres pour l’élection du futur abbé.
« Souvenez-vous, ô Très miséricordieuse Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection, imploré votre assistance ou réclamé vos suffrages, ait été abandonné. Animé de cette confiance, ô Vierge des vierges, ô ma Mère, je viens vers Vous, et gémissant sous le poids de mes péchés, je me prosterne à vos pieds. O Mère du Verbe Incarné, ne méprisez pas mes prières, mais écoutez-les favorablement et daignez les exaucer. Amen ».