Quand vous recevrez ce message, avec une cinquantaine de participants, familles et enfants ou célibataires, nous aurons marché vers Compostelle durant six journées, au départ de Chartres parcourant paisiblement quatre-vingt-dix kilomètres. Mais je ne peux rien vous en dire dans ce message puisque je vous écris avec un peu d’avance, la pérégrination et le camping n’étant pas favorable au télétravail. C’est un projet nouveau de vacances originales organisées par la mission conjugale et familiale du diocèse pour vivre des moments fraternels, spirituels, économiques dans la sobriété matérielle et développer des rencontres amicales. Peut-être vous en parlerai-je dans un message futur !
Maintenant, il est bon d’évoquer la belle fête de l’Assomption de la Vierge Marie que nous vivrons à Chartres lundi prochain, comme dans tous les sanctuaires mariaux de France. Si vous êtes en vacances, il est probable qu’il en existe un proche de chez vous, peut-être retiré en pleine campagne ou sur un rocher au bord de la mer où vous pourrez vous rendre. C’est une fête populaire, l’occasion d’un jour férié en France. Beaucoup de personnes ignorent néanmoins la raison de ce dogme que le pape Pie XII promulgait le 1er novembre 1950. Il le fit en ayant consulté l’ensemble de l’Église à travers le magistère des évêques du monde entier invités à consulter leurs fidèles sur ce point de la foi. Pourquoi le pape choisit-il de procéder ainsi ? L’Église croit volontiers que l’Esprit Saint la conduit par le magistère exercé par les pasteurs et aussi par les fidèles lorsque ceux-ci expriment unanimement leur conviction de foi. Nous appelons cela le sensus fidei.
Comment comprendre ce que signifie ce dogme théologique et spirituel ? Il affirme que la Vierge Marie, au terme de sa vie terrestre, est montée au Ciel avec son corps. Pourquoi peut-on penser cela alors que la Bible ne mentionne pas cet épisode ? Le peuple de Dieu, dans son ensemble, croit que Jésus-Christ, Verbe divin fait chair par le sein virginal de la Vierge Marie, l’a associée au projet de salut depuis sa naissance jusqu’à la fin de sa vie. Elle fut totalement unie à lui. Elle partagea sa vie cachée durant trente années. Elle a vu avec les apôtres les bienfaits des paroles de son divin fils et la puissance de ses actes. Comme premier témoin, elle a souffert sa passion et sa mort en croix. Elle a déposé son cadavre dans un tombeau, espérant contre toute espérance que ses promesses s’accompliraient. Elle a attendu la résurrection et a vu son Fils vivant. Elle a expérimenté la puissance du Saint Esprit recevant le jour de la Pentecôte des grâces nouvelles. Elle a accompagné les apôtres pendant les premières années de l’Église jusqu’à la fin de sa vie terrestre. Un texte apocryphe, le proto-évangile de Jacques, raconte qu’à sa mort les anges rassemblèrent les apôtres en les faisant venir miraculeusement auprès de son lit et qu’ils furent témoins de son assomption. Nos frères orthodoxes parlent de dormition, ce mot exprimant particulièrement qu’elle n’est pas morte comme un humain, mais qu’elle s’est endormie pour être la première à entrer dans la Gloire du Ciel avec son corps.
C’est pourquoi les catholiques ont pressenti durant de nombreux siècles que Marie n’avait pas pu être mise en terre comme tout un chacun, que son corps si digne qui avait porté durant neuf mois le Sauveur ne pouvait pas subir les affres de la décomposition physique et qu’il était juste qu’elle bénéficie du privilège d’être la première des sauvés par les mérites de la passion de son fils Jésus en étant élevée elle-même, corps et âme, pour « paraître avec lui dans la Gloire » (Cf. Col 3, 4). Le dogme ne mentionne pas la mort de Marie, mais simplement parle du terme de sa vie. S’endormir dans la mort est une expression devenue habituelle pour nous chrétiens, qui tire son origine des paroles de l’apôtre saint Paul : « Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort ; il ne faut pas que vous soyez abattus comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. » (1Th 3, 13)
Marie a pleinement réalisé le projet divin proposé aux êtres humains dès leur création, c’est-à-dire vivre en Dieu, dans une entière liberté et une parfaite communion. C’est le péché de désobéissance qui avait rompu l’état d’innocence originelle et avait fait entrer la mort dans la vie des hommes. Il est très mystérieux de nous projeter à l’origine de l’humanité dont les premières traces se trouvent dans la vallée du grand rift en Éthiopie, et de lire les récits de création dans le livre de la Genèse aux chapitres 1 et 2. Ce sont de véritables contes par lesquels le Saint Esprit présente le projet divin de création. Marie, par son oui sans faille, unie dans une vie ordinaire et domestique, ne voulut se refuser à Dieu, lui offrant toute sa vie, ses pensées et ses actes. Était-ce possible ? Comment a-t-elle fait ? Avait-elle des tentations ? Marie était humaine, elle avait une famille, des cousins, des parents, des voisins et elle côtoyait au quotidien la présence des soldats romains qui occupaient la terre de ses ancêtres. Elle choisit définitivement la vie en Dieu, sûre de sa promesse, convaincue d’être de passage en cette vie, attendant comme certains membres de son peuple de voir bientôt Dieu, dans l’éternité. Cette vie future n’était pas un rêve mais elle en goûtait les prémisses, dans sa prière et ses actes d’espérance. Elle transformait son union à Dieu en actes de charité pour son prochain. Jésus lui-même n’a-t-il pas contemplé l’œuvre de la grâce divine dans la vie de sa mère à Nazareth ? Son divin cœur devait être tellement touché de voir en elle un être en harmonie avec Dieu son Père céleste, toute habitée par le Saint Esprit. Accompagnant Jésus depuis sa naissance, elle fut son éducatrice et son modèle maternel, au côté de saint Joseph. Lorsque ce dernier mourut, elle demeura une fidèle disciple de son Fils, vivant de sa parole et de ses enseignements publics rassemblés dorénavant dans les quatre évangiles.
Marie méritait bien cette grâce de l’Assomption. Le peuple chrétien, toujours plus en adoration devant Jésus vrai Dieu et vrai homme, considérait à juste titre que la Vierge lui était donnée comme médiatrice de toutes grâces pour aller plus sûrement au Ciel. Si les paroles qui ouvrent le discours sur la montagne rapportées par saint Matthieu (Mt 5, 1-11), que l’on appelle les béatitudes, concernent très directement Jésus, nous pouvons contempler Marie en les relisant : bienheureux les cœurs purs, bienheureux les pauvres de cœur, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux les doux, bienheureux les artisans de paix, bienheureux ceux qui ont soif et faim de la justice, bienheureux les miséricordieux, bienheureux ceux qui sont persécutés, car le Royaume des Cieux est à eux et ils verront Dieu. Jésus, à l’image du serviteur souffrant dépeint par le prophète Isaïe, a vécu tout ceci. Marie, en son cœur immaculée, porta toute l’opprobre reçue par Jésus lorsque les juifs refusaient de l’écouter et complotaient pour le faire mourir. Ce fut un terrible mal, symbolisé par le glaive qui lui transperce le cœur, qu’elle accepta de recevoir en vue du salut de l’humanité entière. En ce sens, elle est vraiment notre mère et nous encourage à faire tout ce que Jésus nous dit.
L’Assomption de Marie ne l’éloigne pas de nous. Au contraire, dans l’histoire de l’Église, c’est elle qui s’est présentée dans de nombreuses apparitions pour nous encourager à prier, à nous convertir, à venir en pèlerinage. Elle s’est approchée d’âmes simples, souvent des enfants, pour donner à l’Église le sens de sa marche vers l’éternité bienheureuse. Marie ne menace pas. Elle est exigeante car elle connaît le drame de la damnation éternelle de certaines âmes perdues. Elle nous propose des moyens simples comme des actes de foi, de charité et d’espérance. Elle encourage la prière du chapelet pour méditer les mystères de la vie de Jésus. Elle est un refuge pour les pécheurs. Elle est une mère consolante pour les malades et les blessés de la vie. Sa présence au Ciel nous ouvre mieux la voie de notre destinée, et nous espérons qu’elle sera la première à nous ouvrir la porte de la maison du Père. Ainsi la fête de l’Assomption est un trait d’union, une corde par laquelle nous élever, un encouragement à vivre, comme elle, fidèles à l’évangile.
Je vous souhaite une très belle fête de l’Assomption, emplie de joies familiales et amicales, au sein d’une communauté d’Église accueillante. Prions encore Marie en reprenant les mots de saint Bernard de Clairvaux (1090-1153), surnommé le « Chantre de la Vierge Marie » pour cette fête :
« Que notre âme assoiffée se hâte donc vers cette Fontaine ; que notre misère vienne et revienne de toute son ardeur puiser à ce Trésor de miséricorde. Voici que jusqu’ici nous T’avons accompagnée de nos vœux, selon nos moyens, dans Ta montée vers ton Fils, et nous T’avons suivie, au moins de loin, Vierge bénie. Désormais c’est à Ta bienveillance de manifester au monde cette grâce que Tu as trouvée auprès de Dieu en obtenant par Tes saintes Prières : le pardon aux coupables, la santé aux malades, la fermeté aux cœurs lâches, ‘’apaisement aux affligés, secours et délivrance à ceux qui sont en péril. En ce jour enfin, jour de fête et de joie, aux petits serviteurs qui dans leurs chants invoquent le nom très doux de Marie, que par Toi, Reine clémente, Jésus-Christ, ton fils, Notre-Seigneur, accorde les dons de sa Grâce, Lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni à jamais. Ainsi soit-il. »