L’actualité de la société est marquée par la guerre en Ukraine que nous ne devons pas oublier. Avec le temps qui passe, notre attention peut se relâcher. Notre prière et pour certains les actions sont nécessaires. Je veux remercier toutes les personnes qui accueillent avec générosité des familles dans la durée. Par ailleurs, le pouvoir d’achat est en berne, le lancement d’un nouveau gouvernement est difficile, les tensions sont grandes entre les partis politiques alors que la France a besoin que tous les talents soient mis en commun pour aborder les problèmes de la vie en société. Le réchauffement climatique est bien là et atteint violemment certains pays. Pour notre Église, des questions se posent aussi quant à la gouvernance suite à des abus. Le suicide d’un prêtre jeune est choquant. La prière doit être intense. La synodalité est le chemin positif à continuer localement pour recevoir du Saint-Esprit les bonnes intuitions afin que l’évangélisation se déploie dans une profonde fraternité.
Mais voici que depuis quelques semaines, suite à une décision de justice américaine, rejaillit le débat de l’avortement. Des français militent pour inscrire dans la constitution le « droit à l’avortement ». Le Parlement européen a demandé jeudi 7 juillet que le droit à l’avortement soit inscrit dans la charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne. Face à cette campagne politique, l’Église a le devoir de parler, car nous reconnaissons la pleine dignité de l’être humain dès sa conception dans le sein maternel. Chrétiens nous sommes aussi citoyens et nous prenons place dans le débat public sur les questions éthiques. Certains nous le reprochent mais au nom de quoi ? Ne sommes-nous pas libres de parler dans un pays de liberté ?
Commençons par prendre un peu de hauteur. Dans la Bible, nous lisons qu’à l’origine, il y avait dans le jardin d’Eden l’arbre de vie. C’est là que Dieu plaça l’homme et la femme pour qu’ils vivent en pleine harmonie avec lui et entre eux. Il y avait encore l’arbre de la connaissance du bien et du mal et de celui-ci il était interdit d’en manger les fruits. Tentés par le démon qui vint sous l’apparence d’un serpent, c’est pourtant ce qu’ils firent, ils mangèrent du fruit défendu, se découvrant nus et, pris par la peur, ils se cachèrent de Dieu. Ils perdirent l’état d’innocence originelle en choisissant la désobéissance. Dorénavant toute vie humaine serait atteinte par la peine et la mort, conséquence du péché des origines. Pourtant Dieu n’abandonne pas sa créature et vient, par le Fils divin fait chair, Jésus, s’offrir lui-même en sacrifice pour nous sauver de la mort et rouvrir le chemin du Ciel.
Depuis, l’humanité a accru infiniment son savoir et ses capacités scientifiques et industrielles. Elle est devenue maîtresse de son destin, bâtissant des projets toujours plus audacieux. Capable d’organiser la vie sociale et économique au niveau planétaire, elle s’est affranchie de Dieu comme un adolescent en crise claque la porte de la maison familiale. Elle a choisi un chemin dans l’indépendance absolue de son créateur envers qui elle exprime au mieux de l’indifférence, au pire un mépris total en niant son existence. Avec cette puissance technique et le pouvoir politique déconnectés de tout lien avec la loi donnée par Dieu, la vie humaine, animale et végétale est devenue un bien de consommation gérée par l’État et d’énormes sociétés qui considèrent être les garants et les gérants de la vie de chacun. La gestion de la crise sanitaire fut une explicitation majeure de ce pouvoir humain et politique.
On observe ainsi que les décisions en faveur de l’avortement n’ont plus aucun lien avec le don divin de la vie, mais se construisent à partir des lois pragmatiques votées démocratiquement après un fort matraquage médiatique. L’enfant n’a pas droit à la parole, le géniteur à peine plus, seule la femme puisque c’est son corps. Si l’Amérique donne à chaque état le droit démocratique de légiférer sur l’avortement, de le permettre ou de l’interdire, en France, on est vent debout contre ce qui est qualifié de reculade culturelle moyenâgeuse. Tous les médias ont soutenu les centaines de manifestants venus manifester le 3 juillet pour le droit à l’IVG et en demander l’inscription dans la constitution. Les journalistes ont abondamment parlé de nombreuses manifestations; en réalité elles ont rassemblé quelques centaines de personnes, sauf à Paris où deux milles manifestants se sont retrouvés. La couverture médiatique n’est donc pas proportionnelle à l’engagement individuel. Si nous n’avions pas eu connaissance de ces chiffres, nous aurions pensé que toute la France était bloquée par les manifestations. Dans ces mêmes médias, aucune place n’est donnée à des personnes « pro-life », opposées à l’avortement, et quand une exception existe, le choix est souvent caricatural.
En France, le sujet de l’avortement est-il tabou ? Peut-on affirmer que la vie est un don qui rend illicite tout geste volontaire qui la supprime ? A-t-on le droit de parler de l’enfant à naître, non pas en termes d’amas cellulaires mais comme on parle d’un enfant fragile qu’il convient d’accueillir et de protéger ? Peut-on parler de ce petit être niché dans le sein maternel dont l’identité lui est singulière par son ADN unique ? Ose-t-on évoquer le père de cet enfant qui ne peut légalement s’opposer au choix de l’IVG de la mère ? Parle-t-on du syndrome post-avortement que vivent tant de femmes dans les larmes et le silence ? Ces questions sont graves et ne peuvent être tues.
Dieu par la voix des prophètes propose un chemin de vie : « je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance. » (Dt 30, 19) La foi chrétienne est toujours liée à l’admirable regard que Dieu porte sur chaque être humain dès sa conception. Voici pourquoi l’enfant est déjà un être humain dans le sein maternel, connu et aimé de Dieu son créateur. Écoutez encore ces mots merveilleux qui nous concernent personnellement : « Avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes au jour, je t’ai consacré » (Je 1, 5) Aussi l’Église reprend avec joie les paroles de l’Écriture que l’on trouve par exemple dans la première lettre de saint Jean : « Oui, la vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage » (1Jn 1, 1ss) Nous sommes chrétiens et nous annonçons la vie qui nous a été donnée, qui nous est confiée, qui est le bien le plus précieux surtout dans la fragilité de l’enfant à naître. Aucune motivation ne peut rendre licite ce qui est illicite, je veux parler de la suppression volontaire de la vie. Pourquoi une vie innocente est-elle si encombrante qu’il faille la supprimer ? Ne peut-on pas imaginer d’autres voies, une espérance et un accueil pour l’enfant ? Ne doit-on pas se réjouir quand des associations accompagnent des femmes en détresse sociale devant une grossesse malvenue mais qui au fond d’elles-mêmes aiment l’enfant qu’elles portent ? Je peux comprendre que certaines grossesses ne viennent pas à point nommé, qu’elles sont un lourd fardeau pour celle qui porte l’enfant, mais notre culture et notre civilisation sont-elles à court d’idées et de moyens au point de promouvoir la mort de l’enfant comme seule issue ? Quelle éducation à la vie offre-t-on aux jeunes générations quand l’avortement est banalisé ?
Inscrire le droit à l’avortement dans la constitution française qui est la norme législative suprême de l’État français, qui est le texte porteur des plus hautes valeurs de la République, c’est y graver le droit de tuer celui qui n’a pas de voix pour nous crier qu’il existe pour vivre. La constitution sera-t-elle encore un texte unanimement reconnu par le peuple entier ? S’il est vrai que selon la République, c’est le peuple qui rend légitime les lois admises par la majorité, celle-ci a-t-elle systématiquement la vérité sur des sujets aussi vitaux ? Si la majorité fait la loi, est-ce la preuve que la loi est bonne ? Inscrire un droit à l’avortement pour le fixer dans le marbre est-ce un progrès pour l’humanité ? Ne serait-ce pas surtout une nouvelle fracture dans notre peuple français ?
Comme chrétiens, nous sommes des citoyens et nous revendiquons le droit de dire non au projet liberticide et homicide qu’est l’IVG, car l’avortement est le terme d’un échec plus qu’un bien. En conscience nous ne pouvons pas admettre qu’il soit présenté comme un bien puisqu’il est fondamentalement un mal. Nous désirons un vrai débat, sans préjugé idéologique. La vie mérite d’être mieux considérée. Dieu nous l’a donnée comme le bien suprême à chérir, dont nous devrons un jour rendre compte. Nos enfants méritent mieux pour leur avenir et nous voulons les préserver de la souffrance silencieuse de celles et ceux qui n’ont plus leur enfant à chérir.
Pasteur de ce diocèse de Chartres, je rends grâce pour les personnes qui accueillent la femme en détresse, abandonnée parfois du père, qui lui offrent un lieu d’écoute et parfois un espace de vie pour pouvoir donner le jour à leur enfant. Je rends grâce aussi pour ceux et celles, prêtres et laïcs, qui sont présents pour écouter et prier avec celles qui n’ont pas gardé leur enfant, avec l’espérance que chacune reçoive une parole de miséricorde et d’amour, car rien ne peut, pas même notre péché, limiter l’amour de Dieu.
Il est temps de prier ensemble. Notre prière est la force et l’arme essentielles face au combat à mener en faveur de la vie, de toute vie. Reprenons cette prière si antique, III-IVèmes siècles pleine de confiance envers la Vierge Marie.
Sous l’abri de ta miséricorde, nous nous réfugions, Sainte Mère de Dieu. Ne méprise pas nos prières quand nous sommes dans l’épreuve, mais de tous les dangers, délivre-nous toujours, Vierge glorieuse et bénie.