#288 « Peut-on redécouvrir le dialogue comme art de vivre ? »

Avec ce nouveau message estival, je souhaite prolonger la lecture de l’encyclique Fratelli Tutti du pape François avec le chapitre 6 dont le titre est « Dialogue et amitié sociale ». Le pape François est un maître dans l’art de la rencontre. Il choisit de visiter des « petits » pays, allant par exemple en Mongolie où les catholiques ne sont que 1 500. Son espérance passe par cet art du dialogue. Face aux tensions et aux guerres, face aux drames subis par tant de populations, il porte en lui l’espérance que le dialogue ouvrira des portes même si celles-ci semblent closes. Il veut croire en l’importance du dialogue authentique comme moyen de construire la paix et la compréhension mutuelle. Dans ce texte, il dit que « l’espérance est audacieuse, elle sait regarder au-delà des commodités personnelles, des petites sécurités et compensations qui rétrécissent l’horizon, pour s’ouvrir aux grands idéaux qui rendent la vie plus belle et plus digne. Marchons dans l’espérance » (FT 55) Dieu n’est-il pas venu parmi nous en prenant corps en Marie pour parler au peuple élu et porteur de l’alliance, pourtant si souvent détourné de lui par d’obscures attirances ? Dieu en Jésus-Christ a ouvert un dialogue jusqu’alors inconnu avec l’être humain malgré l’infinie distance entre sa divinité et notre humanité. Le fossé infranchissable fut comblé par la pure miséricorde de Dieu qui voulut parler cœur à cœur avec sa créature pour lui dire son amour. 

Dans le chapitre cinq de l’encyclique nous avons vu la place de l’amour et de la tendresse dans la chose politique, pour ouvrir la voie à une recherche fraternelle en vue de solutions contribuant au bien commun. Le pape François affirme toujours que « l’amour, qui est au fondement des relations humaines, rend possible le dialogue. La charité est le cœur du dialogue, c’est la voie de l’espérance » (FT 62). Aimer ceux et celles qui partagent les responsabilités politiques et sociales est une nécessité qui appelle une conversion radicale. Le Parlement français est un bel exemple de microcosme où cette expérience pourrait être tentée. Ne devrait-il pas être l’assemblée exemplaire de la fraternité et du dialogue constructif pour honorer la devise républicaine ? Mais qu’en est-il lorsque l’invective, les insultes, le refus d’un geste de salutation anesthésient le dialogue ? 

Aussi, pouvons-nous envisager la question suivante : un vrai dialogue est-il possible là où l’on se refuse la charité sociale ou encore l’amour politique ? Nous devons admettre que l’amour ne vient pas en premier dans une relation interpersonnelle : on se rencontre et on se parle, on s’écoute avec attention, pour devenir peu à peu compagnons de route en vue d’un projet. L’amitié adviendra éventuellement après un certain chemin qui nécessite du temps pour reprendre le Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry. Il faut admettre que l’amitié n’exige pas des points de vue convergents, mais la mise en commun avec bienveillance de nos recherches personnelles, dans une quête du vrai ce que dit le pape : « Se rapprocher, s’exprimer, s’écouter, se regarder, se connaître, essayer de se comprendre, chercher des points de contact, tout cela se résume dans le verbe ‘‘dialoguer’’ (FT 198) ». François insiste : « À plusieurs reprises, j’ai invité à développer une culture de la rencontre qui aille au-delà des dialectiques qui s’affrontent » (FT 215). Cela ne répond-il pas à la parole de Jésus qui ouvre son discours sur la montagne par les Béatitudes et particulièrement « heureux les artisans de paix, le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5) ? Si chacun se saisit de cette vocation, notre monde avancera vers la paix et l’entraide. 

Dans ce chapitre sur le dialogue, le pape note le rôle central des médias. Ceux-ci ont envahi nos vies. Il est loin le temps de la révolution audiovisuelle avec les premières télévisions en noir et blanc. Il y avait alors deux chaînes et chacun allait se coucher tôt lorsque la grille de l’ORTF apparaissait vers 23 heures. En 2024, les nouvelles parcourent le monde à la vitesse de la lumière dans les réseaux de fibres optiques. Les vidéos sont diffusées immédiatement et toute personne commente sur n’importe quel sujet qu’il observe dans son lieu de vie. Il n’y a plus le filtre du journaliste dont le métier est d’analyser pour comprendre et apporter la plus juste information, car ces messages sont emportés et transmis par la frénésie médiatique, personne ne voulant rater le coche d’être aux avant-postes de ceux qui révèlent la dernière nouvelle. Ainsi, peut-on lire et entendre tout et son contraire, être manipulé et abusé puisque l’observateur donne à voir ce que son œil voit sans éléments complémentaires voire contradictoires. Le pape critique les dérives des communications actuelles, souvent marquées par l’agressivité et l’exclusion, et plaide pour une communication respectueuse et constructive. Le saint Père met en avant le rôle des médias dans la promotion d’un dialogue sain et exhorte à l’engagement personnel pour établir des ponts au lieu de murs. Ces faits appellent les chrétiens à une vigilance forte sur ce qu’ils reçoivent et à cultiver leur jugement critique face aux fausses nouvelles. Par exemple, ce n’est pas parce qu’un post est transmis par un ami qu’il est vrai et que l’on se doit de le transmettre à notre tour. Nous aimons le mot « sincérité » mais il ne peut être suffisant d’être sincère dans nos messages pour servir le vrai et le bien. La recherche de la vérité est au cœur de la charité que chacun doit à son prochain. Le pape dit que la vérité est « la recherche des fondements les plus solides de nos options ainsi que de nos lois (FT 208) ». Ces fondements sont des principes universels qui ne peuvent être soumis au relativisme ni aux modes, ni aux intérêts de certains. Le pape François précise encore que « ces valeurs fondamentales sont au-dessus de tout consensus ; nous les reconnaissons comme des valeurs qui transcendent nos contextes et qui ne sont jamais négociables (FT 211) ». Le dialogue est nécessaire pour partager ce qui construit et établit les fondations d’une société comme la dignité de toute vie humaine. Se mettre au service de la vérité demande du temps, du recul et une véritable intelligence des situations pour ne pas tomber dans « l’échange fébrile d’opinions sur les réseaux sociaux » dit le pape. Nous pouvons ajouter l’urgence de prier toujours plus pour être libres et discerner notre participation sur ces réseaux. 

Les réseaux sociaux ont rapproché les hommes. Ils nous relient à tant de cultures, nous permettent de découvrir des inventions et des pensées diverses. Internet est donc un outil fantastique. C’est de son usage en vue du dialogue qu’il faut réfléchir face à sa puissance et aux Intelligences Artificielles (I.A.) qui pénètrent de plus en plus nos vies. Pour conclure sur cette question exigeante du dialogue, demandons-nous si notre participation sur les réseaux sert la vérité, fait croître la communion et l’amour, nous grandit et nous enrichit comme enfants de Dieu, si la société progresse vers le bien commun. Ce dialogue permet une culture de la rencontre, véritable art de vivre, et source de bien des richesses pour celui qui prend le temps de l’écoute et du dialogue. Blablacar est un lieu passionnant pour cultiver avec surprises ce dialogue en faisant, comme l’exprime le pape, « l’effort de reconnaître à l’autre le droit d’être lui-même et d’être différent. »

Tout ceci appelle cette belle attitude qui fait tant de bien, la bienveillance, qui est au centre du dialogue authentique. Le pape dit que « la bienveillance est une libération de la cruauté qui caractérise parfois les relations humaines, de l’anxiété qui nous empêche de penser aux autres, de l’empressement distrait qui ignore que les autres aussi ont le droit d’être heureux (FT 224) ». Avec Jésus-Christ, nous voyons exactement cela, il voit ceux que personne ne regarde, il touche les intouchables, il se met à l’écoute des sans-voix et les relève. 

Je prie pour chacun de nous, ouvert au « dialogue et l’amour social », je prie pour notre pays la France tellement clivée par les rejets intolérants et partisans, je prie pour que l’Église soit une famille diverse et toujours ouverte à tous. Notre Père.

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