Samedi soir, ce sera la vigile pascale. Nous allumerons le feu nouveau. Nous entendrons les grands récits qui rythment la vie du peuple hébreu, nous chanterons le Gloria et les Alléluias, nous baptiserons les catéchumènes, nous acclamerons Jésus ressuscité, nous célébrerons à nouveau la sainte messe pour nous unir au sacrifice du Christ qui a offert sa vie pour notre rédemption, et nous serons associés à sa résurrection en nous rappelant notre baptême qui fit de nous des enfants de Dieu. Jésus nous dit sa confiance et nous redit notre responsabilité d’être témoin de la foi. Ce message est le cœur de notre foi : « si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre foi » affirmait saint Paul (1Co 15,14). Il est assurément mort en croix, il a pris sur lui toutes nos iniquités, il a porté le péché du monde, il s’est livré tel l’agneau innocent à l’abattoir, il a tout donné pour que nous vivions. Par lui, nous sommes sauvés et destinés à partager sa plénitude dans l’éternité.
Là est le centre de notre foi chrétienne. Cependant la foi demeure une question complexe. Qu’est-ce que la foi chrétienne ? Croyons-nous en quelque chose ? Ou en quelqu’un ? Est-elle le fruit d’un travail à faire ou nous est-elle donnée par grâce ? Peut-on la perdre comme on égare un objet ?
Aux adultes catéchumènes, avant leur baptême, le célébrant pose une série de questions. « Que demandez-vous à l’Église de Dieu ? » La foi. « Que vous donne la foi ? » La vie éternelle. Ainsi reçoivent-ils la foi tel un bienfait divin communiqué par l’Église. En effet, l’Église a reçu et garde le dépôt de la foi, celle que les apôtres lui ont confiée depuis qu’eux-mêmes l’ont reçue de Jésus. On parle ainsi du dépôt de la foi qui est l’ensemble des enseignements professés par Jésus et transmis par les apôtres à travers les saintes écritures, la Tradition et le Magistère de l’Église. Puisque Jésus est la Parole unique et indépassable, rien ne peut être ajouté, aucune révélation n’est plus attendue. L’Esprit enseigne au temps présent comment recevoir et mettre en pratique ce saint dépôt de la foi. Ainsi la Tradition reçoit de nouvelles richesses pour que l’unique Évangile soit annoncé, vécu et partagé à chaque génération.
C’est pourquoi l’on affirme que le baptême, premier sacrement de l’initiation chrétienne, communique aux baptisés la foi, l’espérance et la charité. Cette communication se fixe dans l’âme comme un sceau immuable car Dieu donne la foi et ne la reprend pas. Elle devient le « trésor » intérieur dont saint Paul parle dans une lettre. Elle transforme la vie du croyant et elle l’encourage dans sa relation avec Jésus, visage de Dieu et unique médiateur de toutes grâces.
Mais aujourd’hui la foi est mise en demeure de disparaître par la voix de ceux qui veulent s’affranchir du dogme et de la morale chrétienne. Récemment, le pape François, en recevant les membres de la première section du dicastère pour l’Évangélisation, enjoignait à trouver une « réponse efficace » à la sécularisation et à la perte d’intérêt pour la foi en Occident. Nos sociétés riches s’embourgeoisent et se détournent de la foi en préférant mettre leur confiance dans les richesses, les réseaux et les assurances. En s’éloignant du don reçu, en l’ignorant de plus en plus, l’homme chrétien et baptisé assèche en lui cette grâce. Il se fait son propre roi, s’affirme dans une indépendance vis-à-vis de Dieu, il prend ses distances par rapport à ses commandements préférant façonner par lui-même sa charte de vie et ses principes de bonheur. La sécularisation athée devient une idole et l’argent un dieu envié. Elle renvoie au passé la foi chrétienne en un Dieu d’amour. Son cœur devenu vide, l’homme s’invente des dieux pour combler ce vide qui le mènent vers une mort sans espérance.
Or la foi chrétienne n’est pas de croire en la seule existence de Dieu, ce qui n’est pas l’apanage des chrétiens mais des adeptes de toutes religions. D’ailleurs les démons croient eux aussi à l’existence de Dieu. La foi chrétienne est de croire que Dieu est unique et trinitaire, qu’il est Père et qu’il s’est manifesté en premier par les prophètes puis par son Fils, son Verbe par qui tout fut créé, incarné dans le sein de la Vierge Marie qui donna naissance à Jésus-Christ. Celui-ci est le messie attendu et promis au peuple juif. Nous croyons en Lui comme notre Sauveur et notre Seigneur, nous croyons que par son sacrifice nous sommes sauvés de la mort et que la vie éternelle est notre futur. Ainsi la foi est un don intérieur d’adhésion à l’existence et à l’œuvre de Dieu en la vie de chacun. La foi est vivante car nous sommes reliés à une personne vivante qui a promis de demeurer chaque jour auprès de nous. Pour cela, Jésus envoie le Saint Esprit, troisième personne de la Sainte Trinité. C’est l’Esprit qui agit en nous. La foi inclut l’Église comme corps vivant de Jésus. Elle nous donne le bonheur d’en être membre et de devenir « pierre vivante » ce qui signifie disciple actif au sein de la communauté locale.
Maintenant posons-nous la question suivante : comment faire grandir notre foi ? Enfants, adolescents et adultes ayant reçu le baptême, sont appelés à faire grandir leur foi, comme on fait pousser une plante rare et délicate. Cela est-il possible ? Si oui, comment ? Les apôtres eux-mêmes font face à cette difficulté et demandent à Jésus : « augmente en nous la foi ! ». Jésus leur répond cette phrase si énigmatique : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi » (Lc 17,6). Personne ne peut déplacer un arbre par une parole d’autorité, et cela aurait-il un sens ? C’est bien entendu une image que Jésus donne. Notre foi serait-elle si petite, inférieure à une graine de moutarde ? La foi, si elle est bien un don, naît et grandit par une rencontre existentielle, on pourrait dire expérimentale même si cette expérience n’est pas uniquement celle de nos sens. Certes beaucoup de convertis disent avoir ressenti la présence de Dieu. Qui est-il celui qui se fait ainsi reconnaître par les sens ? Cette expérience est décrite comme un bain de chaleur, une enveloppe d’amour merveilleux. Le pape François parle d’une rencontre « réelle et existentielle ». Le chemin spirituel permet de passer d’une expérience de Dieu présent à la rencontre de Jésus-Christ. Or pour le connaître, nous avons besoin de ses paroles, de connaître sa vie et ses œuvres magnifiques. C’est pourquoi la croissance de la vie de foi est conditionnée par la connaissance de Jésus dans la Parole révélée et la vie sacramentelle.
La Parole dont je vous parle souvent est le media par excellence de la voix divine. Dieu crée par sa Parole. Il parle aux prophètes qui se font porte-parole en son nom. Jésus est la Parole créatrice faite chair (cf. Jn 1). En méditant les évangiles, et leur mise en œuvre dans les textes écrits et médités par les saints, Jésus enseigne et guide les fidèles. C’est là une expérience extraordinaire que font celles et ceux qui prennent au sérieux la Parole de Dieu. Une simple verset peut être suffisant pour changer une vie quand son contenu devient parole vivante pour une personne bien disposée par sa vie spirituelle. Il en est aussi de même des sacrements. On parle de la présence réelle dans l’eucharistie quand on comprend et que l’on croit que les oblats, le pain et le vin, deviennent corps et sang de Jésus offerts en sacrifice pour le salut du monde. Cette expérience de la présence de Jésus vécue chaque dimanche et parfois en semaine, lors de la messe, fait grandir la foi. Cela est vrai encore dans l’adoration eucharistique qui permet de demeurer dans un face à face vivant avec Jésus dans l’exposition de l’hostie consacrée, son corps. Ainsi, à Montligeon, avec les catéchumènes et les confirmands, lors de l’adoration nocturne, plusieurs ont vécu une première expérience de la présence de Jésus aimant et consolant. Nous avions osé faire la proposition d’une longue prière et le Seigneur s’est manifesté. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ces hommes et ces femmes non encore baptisés, païens pour reprendre l’expression de saint Paul, sont déjà touchés par une grâce de foi qui précède leur baptême et que le Seigneur communique avec force afin qu’ils choisissent de devenir chrétiens et qu’ils aient la force de persévérer dans leur conversion.
Si nous baptisons les enfants à leur naissance, nouveau-nés, nous avons le devoir de permettre à leur foi de grandir. Cela se fait par une communication quotidienne de l’amour de Dieu, dès le sein maternel, en priant parents et enfants ensemble, en les enseignant sans attendre l’âge du catéchisme, en les éveillant à une vie de foi authentique par les récits de vie de saints. Ensuite vient l’adolescence, temps fantastique de croissance, promesse d’une vie adulte dans la lumière divine, durant laquelle le jeune se débat tel la chenille dans sa chrysalide avant que d’être un papillon. Si la foi a été nourrie dans les jeunes années, on peut constater que beaucoup d’adolescents continuent à prier, souvent secrètement, vont à la messe mais pas à celle des parents, et surtout sont des témoins courageux au sein de leurs groupes d’amis, tel le scoutisme. Ils cherchent à passer d’une foi reçue à une foi choisie. Ils savent au fond d’eux-mêmes la force du don de Dieu, ils expérimentent le repentir et la consolation dans le sacrement du pardon. Ils comprennent que le péché ruine la joie et étouffe la foi. Ils doivent passer par la porte étroite, mettre leurs pas dans ceux de Jésus. Ils découvrent les textes et certains lisent la Bible intégralement. L’intimité avec les évangiles est une clé pour une rencontre de Jésus fondée et solide, et pas seulement affective et subjective. Les jeunes sont confrontés à la tension entre ce que leur présente la société contemporaine et les appels de Dieu. Cela les bouscule, aussi bousculent-ils les adultes par leurs questions. Ainsi l’Église s’enrichit de leur présence et doit les entendre car leur foi vivante et décalée est un témoignage pour les plus anciens ancrés dans leurs traditions certes bonnes mais parfois figées.
Ces jours-ci sont rythmés et bénis par des liturgies extraordinaires. Les rites, les chants, les actions liturgiques se succèdent depuis la Cène du jeudi saint où nous célébrons l’institution du sacerdoce et de l’eucharistie, le vendredi saint avec le chemin de croix et l’office de la passion, le silence du samedi saint faisant mémoire de la mise au tombeau du corps de Jésus, jusqu’à la Vigile pascale qui est toujours une explosion de joies liées à la célébration de la résurrection de Jésus. La vie a vaincu la mort, chantons-nous. Cette joie pascale est célébrée tout au long de l’octave pascale, huit jours pour vivre pleinement le bonheur préparé par les quarante jours du carême. « Il est vraiment ressuscité » sommes-nous appelés à annoncer autour de nous. Notre vocation missionnaire trouve là tout son élan, ne refusons pas à nos proches d’y participer en osant les inviter.
Prions maintenant selon la liturgie de ce vendredi saint avec la prière appelée collecte, porteuse de la gravité que ce moment exprime puisque Jésus est condamné. Le Christ meurt sur la croix, nous marchons avec lui jusqu’au calvaire. Cela peut nous être difficile, mais bientôt la pierre du tombeau sera roulée et jaillira une vie nouvelle qui nous est destinée. « Seigneur notre Dieu par la passion du Christ, tu as détruit la mort héritée du premier péché, la mort qui tenait l’humanité sous sa loi ; Accorde-nous d’être semblables à ton Fils : du fait de notre nature, nous avons dû connaître la condition du premier homme qui vient de la terre ; sanctifie-nous par ta grâce pour que nous connaissions désormais la condition de l’homme nouveau qui appartient au ciel. Par Jésus le Christ notre Seigneur. Amen »