L’exaltation de la croix par les chrétiens est parfois mal comprise. Les catholiques approuveraient-ils la souffrance ? Faut-il souffrir pour obtenir la vie éternelle ? Comme comprendre saint Paul lorsqu’il affirme « pour moi, que la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté. Par elle, le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde » (Gl 6,14).
Le 14 septembre nous avons célébré la Croix glorieuse. La croix était un moyen d’exécution particulièrement barbare : le supplicié mettait plusieurs jours à mourir. Des archéologues ont retrouvé un gros clou planté perpendiculairement aux chevilles dans les os des pieds d’un homme : le supplice fut certainement atroce. En Turquie, lors du génocide des arméniens, beaucoup d’hommes et de femmes furent crucifiés. Comment alors la croix a-t-elle pu devenir la « Croix Glorieuse » ?
Cette fête propose la lecture du récit du serpent d’airain pendant l’exode du peuple hébreu conduit par Moïse. Qu’était ce serpent ? Le peuple hébreu s’était rebellé en regrettant le temps de l’esclavage en Égypte où il pouvait se nourrir, d’oignons et de tomates. Dieu, fâché par cette révolte, alors que tous avaient pu voir sa puissance à l’œuvre, envoya des serpents qui mordaient les gens. Devant cette si lourde peine, Moïse supplia Dieu de lever pareille punition. Dieu lui demanda de façonner un serpent en bronze qui serait dressé sur un mât. Alors quiconque serait mordu par un serpent devrait regarder ce serpent de bronze et la mort lui serait épargnée. Vous connaissez probablement ce signe puisqu’il est le caducée des médecins visible sur le pare-brise de leur voiture. Le serpent d’airain devint la préfiguration de la Croix de Jésus-Christ : quiconque regarde vers Lui peut-être sauvé. Dans son récit de la Passion, saint Jean cite ainsi le prophète Zacharie « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37) qui permet de faire ce lien entre la croix du Christ et le serpent d’airain. Mais le Christ est bien plus qu’un serpent qui épargne de la mort. Il est notre sauveur. En contemplant le Christ en croix, alors qu’il n’a plus figure humaine, nous voyons le signe de la victoire sur la mort. Le crucifié est Jésus, Dieu fait homme dont saint Paul décrit si bien l’abaissement comme un dévoilement de sa passion à venir.
Le Verbe s’est fait chair dans le sein de la Vierge Marie afin de partager notre humanité en vivant parmi les hommes, égal en tout sauf le péché, jusqu’à sa condamnation à mort, sa flagellation, puis sa mise en croix abjecte. Pilate, le chef local des romains, constate qu’il est innocent et reconnait qu’il ne mérite pas la peine capitale, mais sous la pression de la foule vociférante, il l’envoie au supplice en se lavant les mains en signe d’innocence. Paul écrit que l’abaissement du Christ va jusqu’à la mort et il ajoute « la mort en croix » pour insister sur l’humiliation subie par Jésus tel un vil malfaiteur comme les deux larrons. Trois jours après sa mort, Jésus est ressuscité. Alors Paul peut dire « c’est pourquoi Dieu est exalté : il l’a doté du nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus, tout genou fléchisse au Ciel, sur terre et aux enfers, et que toute langue proclame : “Jésus-Christ est Seigneur » à la gloire de Dieu, le Père” » (Ph 2,10-11). La Croix devient glorieuse car sur son bois c’est tout le péché des hommes qui est cloué afin que tous soient rachetés et sauvés en vue de la vie éternelle. Il y eut l’arbre du péché originel décrit dans la Genèse, il y a maintenant le bois de la Croix de Jésus par lequel il nous a libérés. Personne depuis son sacrifice ne peut ajouter à son offrande, elle est parfaitement accomplie. Sa Gloire passe par la vie qu’il nous communique. Nous avions été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, or cette réalité avait été gravement altérée par nos péchés, par sa Croix victorieuse, il nous est donné de vivre dans la lumière, ici-bas en attendant le Ciel.
L’Évangile selon saint Jean rapporte l’interrogation de Nicodème, membre du Sanhédrin, c’est-à-dire la plus haute autorité juive qui contrôlait la vie du culte à Jérusalem. Il interroge Jésus qui lui dit que « nul n’est monté au ciel sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme ». Jésus ajoute « de même que le serpent de bronze fut élevé par Moïse dans le désert, ainsi faut-il que le Fils de l’homme soit élevé, afin qu’en lui tout homme qui croit ait la vie éternelle » (Jn 3,14-15). Nicodème fut assurément fort surpris par ces paroles. Le Fils de l’homme dont parle Jésus doit venir tel un être divin, comme l’annonçait le prophète Daniel. Or Jésus ajoute à la prophétie qu’il sera élevé, ce qui signifie être élevé sur une croix comme supplicié. Mais comment serait-il possible que le Fils de l’homme annoncé comme un être divin soit crucifié ? C’est si difficile à comprendre que même Pierre en refusera absolument l’idée. Jésus affirme à Nicodème que cela adviendra pour ceux qui croiront en lui et ainsi obtiendront la vie éternelle : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle » (Jn 3,16). Grâce à Jésus, chaque fidèle a connaissance que Dieu l’attend pour l’éternité à condition de ne pas se perdre loin de lui, et de devenir pleinement un disciple. Auprès de Jésus crucifié et ressuscité, nous ne recherchons pas à nous maintenir en vie ici-bas comme les hébreux mordus par un serpent mais nous désirons le ciel où Jésus nous a dit qu’il nous préparerait une place.
La Croix Glorieuse est une réalité spirituelle riche de sens. Face aux souffrances vécues par tant de personnes, elle demeure une réalité complexe à comprendre. C’est dans l’adoration, si possible en face du Saint Sacrement, que peu à peu nous pouvons expérimenter la présence et la douceur de Dieu qui révèle sa compassion pour notre humanité souffrante et pécheresse. Pour les pasteurs, il est très difficile d’avoir les bons mots qui explicitent l’amour divin quand l’interlocuteur souffre physiquement ou moralement. Bien souvent, les mots sont maladroits, et seuls le silence et la prière pour ceux qui se confient portent du fruit. « Je suis là » dit une infirmière à une maman endolorie assise à côté de son enfant qui mourait peu à peu au cœur de la nuit. Cette simple parole fut une consolation reçue dans les larmes.
Saint Paul, tellement éprouvé au cours de ses missions par de graves épreuves, écrivait « nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les nations païennes » (1Co 1,23) et il ajoutait « la croix de notre Seigneur Jésus Christ reste ma seule fierté » (Gl 6,24). La puissance d’amour de Dieu passe par la Croix. Notre religion ne propose pas un mode d’emploi du bonheur ni un art de vivre bienheureux comme le monde prétend le faire. Le chemin est escarpé. La sainteté passe par l’abandon à la volonté de Dieu et le choix de marcher à la suite de Jésus en portant notre croix. Cela est difficile mais la victoire est au Seigneur, n’en doutons pas. Lors du chemin de Croix au Colisée en 2015, le pape Benoît XVI donna cette méditation : « Ô Christ crucifié et victorieux, ton Chemin de Croix est la synthèse de ta vie, il est l’icône de ton obéissance à la volonté du Père ; il est la réalisation de ton amour infini pour nous, pécheurs ; il est la preuve de ta mission ; il est l’accomplissement définitif de la révélation et de l’histoire du salut. Le poids de ta croix nous libère de tous nos fardeaux. » Accueillons ces paroles fortes avec foi. La Croix révèle l’oblation d’amour de Jésus et elle est source de vie. À Chartres, dans la fenêtre romane sud au-dessus du portail royal, la Croix est verte entourée de rouge : le vert est le signe de la vie qui en jaillit et le rouge est le signe du sang versé pour notre salut. La Croix est l’arbre nouveau porteur de multiples fruits.
Prions pour notre monde traversé par tant de tourments et supplions Dieu pour la conversion de l’humanité et en particulier des responsables politiques en vue du bien pour tous.
Notre Père.