Ce qui fait un chrétien, c’est le baptême. Nous ne naissons pas chrétien, nous le devenons. Nous naissons humain et par ce sacrement nous devenons enfants de Dieu, membres du Corps du Christ. Le baptême nous donne la grâce du salut c’est-à-dire la promesse de la vie éternelle. Pour celui qui est baptisé adulte, tous ses péchés lui sont pardonnés. Pourtant il est opportun d’ajouter que le sceau du baptême qui marque définitivement l’identité du baptisé donne une responsabilité incontournable qui oblige au témoignage. Le baptême devient une source de vie chez celui qui choisit d’en vivre réellement. Il revêt la dignité de prêtre, prophète et roi. Croire en Dieu n’est pas l’apanage du chrétien. Pour celui-ci, il s’agit de croire en Jésus-Christ mort et ressuscité pour le salut de tous et de l’annoncer par sa vie et ses paroles. Par sa vie tout d’abord car l’être du chrétien ne peut pas être la copie des hommes du monde, puisque par le baptême, « l’homme est uni au Christ, il a revêtu le Christ » dit Paul (cf. Gl 3,27). Nous en dirons un mot après. Ensuite l’annoncer par ses paroles qui ne sont plus celles du monde mais celles qui sont porteuses de la sagesse divine elle-même infusée dans les textes inspirés de la Bible. Si la langue est commune à nos contemporains, notre langage n’est plus le même car il emprunte aux mots de Jésus ses enseignements de sagesse.
Saint Paul constate le changement dans sa propre vie après sa conversion. Il dit « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi » (Gl2,20). Il est très bouleversant de réfléchir à la présence de Dieu en nous, en théologie nous disons « l’inhabitation de Dieu en l’homme ». Saint Augustin affirme qu’il découvre après tant de recherches hors de lui que Dieu est en lui sans qu’il l’ait su avant. Aussi Paul dit que nous avons revêtu le Christ. Quel est cet habit qui nous revêt ? Rappelons que le Christ est une personne qui n’ôte pas notre personnalité mais l’éclaire profondément. Il la révèle : destinée à vivre dans la puissance de l’Esprit. L’homme est appelé à s’élever au-dessus de sa condition de créature humaine pour être divinisé, ce qui signifie qu’il avance alors en présence de Celui qui est Dieu Trinité. L’habit que reçoit le catéchumène lors de son baptême pendant la nuit pascale est de couleur blanche. Cette blancheur signifie la pureté et le pardon. L’habit blanc est donc un signe qui efface le vieil homme pour laisser toute la place à l’homme nouveau. Cet habit est ici encore une responsabilité pour qui le reçoit en face de la communauté chrétienne et au-delà dans la société civile. Le néophyte ne peut plus vivre selon les codes du monde, par exemple avec des relations affectives désordonnées. Éclairé par la Parole et l’enseignement de l’Église, il doit quitter le vieil homme et ses mœurs en choisissant la chasteté selon son état de vie. Le commandement de l’amour de Dieu et du prochain s’impose dorénavant à lui.
« Vous avez revêtu le Christ » dit Paul. Comment comprendre ce qu’est ce nouveau vêtement ? Puisque le commandement premier est d’aimer, proposons que ce vêtement soit la charité, c’est-à-dire la version parfaite de l’amour. Saint Paul dit des disciples qu’ils sont « des enfants de Dieu sans tache au milieu d’une génération tortueuse et pervertie » (Ph 2,15). La perversion existe toujours aujourd’hui : elle est parfois perceptible, notamment dans des lieux de pouvoir et d’influence. Bien entendu la source de la lumière n’est pas en nous, la lumière ne vient pas de nous : elle est et vient de Dieu qui la donne afin que nous la reflétions vers les autres. C’est bien la charité, mot qui traduit le grec agape, c’est-à-dire l’amour oblatif, qui s’offre sans attendre de retour, l’amour qui trouve sa joie profonde dans le contentement de celui qui le reçoit. Se revêtir de la charité pour l’apporter à toute personne en attente d’amour, voici la vocation du chrétien et sa destinée ultime quand il sera plongé éternellement dans l’amour. Aimer devrait être une évidence pour toute personne. Or ce n’est pas l’expérience que nous faisons : tant d’hommes ou de femmes n’aiment pas et pour certains le montrent par leurs actes, préférant, par exemple, le pouvoir de l’argent à celui de la charité !
Jésus résume auprès des pharisiens son enseignement en leur disant que toute la loi consiste à aimer Dieu et à aimer son prochain comme soi-même. Ce commandement, qui oblige radicalement, est plus aisé à vivre pour le baptisé s’il porte ce vêtement qu’est le Christ, le Christ aimant, le Christ joyeux, le Christ solidaire des autres. L’amour est une grande chose qui ne peut pas être prise à la légère. Dans un discours prononcé le 23 août 2025, le pape Léon XIV déclare : « L’avenir de l’épanouissement humain dépend de l’amour autour duquel nous choisissons d’organiser notre société : l’amour de soi ou l’amour de Dieu et du prochain ». Nous affirmons que la société aura un avenir que quand l’amour sera la source et la motivation de nos actions. L’amour est le reflet de la grâce divine qui communique la vie par pur don. Contrairement à ce que dit l’esprit du monde, on ne fait pas l’amour, on reçoit cet amour de Dieu et on le partage en son nom, entre amis et aux enfants, entre conjoints.
Une question se pose cependant : doit-on apprendre à aimer ainsi ou est-ce inné ? L’homme réalise naturellement et de manière innée des actions essentielles à sa vie physique sans avoir besoin de les apprendre. Par exemple, nous respirons, nous digérons, nous voyons, sans apprendre à le faire. Certains animaux sont eux aussi capables de réaliser des actions complexes sans être enseignés comme l’araignée qui tisse sa toile selon le modèle propre à sa famille, où le tisserin, un oiseau africain et asiatique qui crée son nid telle une boule tressée extraordinairement complexe et suspendue à une branche de l’arbre sur lequel il niche. Il y a chez ces espèces une mémoire innée qui leur commande ces réalisations. Mais l’homme doit apprendre tant de choses pour devenir apte à vivre de manière autonome ! Le désir d’être aimé est sûrement en lui dès sa venue au monde. Pourtant sa capacité à aimer en retour vient de son expérience de l’amour reçu des parents et d’autres personnes. Il doit apprendre les gestes et les mots qui expriment son amour pour autrui. Sensible aux émotions affectives, l’enfant apprendra à engager sa volonté dans l’amour, jusqu’à chercher à aimer des personnes peu avenantes. Le Christ ne demande-t-il pas d’aimer jusqu’au bout par ces mots « Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est aux cieux » (Mt 5,44-45).
Être chrétien et avoir revêtu le Christ nous permet ce chemin. Notre société se porterait tellement mieux si les hommes aimaient en vérité leur prochain. Le démon cherche à les détourner d’une si haute vocation. Il excite les instincts les plus bas pour briser la joie de l’amour, pour décourager l’effort volontaire d’aimer. Dans la lumière de l’Esprit, en tant que chrétiens, nous apprenons à lutter contre cette force obscure et à mettre tous nos talents en service de ce but merveilleux. Certes nous faisons l’expérience de notre péché et de notre petitesse, et l’échec peut advenir. Mais la grâce nous permet de pardonner et de remettre l’ouvrage sur le métier de l’amour. Ce beau vêtement reçu au baptême nous protège de tout découragement. Le Christ demeure avec nous. Demeurons en lui puisque tel est son désir.
Maintenant prions ensemble afin que les chrétiens soient authentiquement témoins de leur vocation et que les responsables de ce monde se détournent de toute forme de violence pour que nos contemporains s’aiment dans la joie de l’Esprit.
Notre Père.