Saint Luc était médecin mais il n’a pas connu Jésus directement. Luc est un jeune disciple chrétien et il rassemble tous les récits et les dires que les témoins directs de la vie publique de Jésus transmettent aux communautés. Il a très probablement rencontré la Vierge Marie dans sa vieillesse qui lui révéla comment elle fut sollicitée par l’archange Gabriel afin de donner vie à l’enfant Jésus, fruit en elle de l’action du Saint Esprit. Luc écrit son évangile puis les Actes des apôtres. Proche par son métier des personnes en souffrance, Luc transmet des récits qui insistent sur la miséricorde divine, comme les paraboles du fils prodigue et du bon Samaritain (Lc 10,25-35). C’est en partant de ce dernier que je souhaite vous partager quelques réflexions.
Dans le but de répondre à un docteur de la loi qui l’interroge, nous dirions aujourd’hui un juriste, Jésus donne cette parabole afin d’expliquer comment obtenir la vie éternelle. Jésus lui rappelle d’abord les commandements : « tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ta force, de toute ton âme, de tout ton esprit et ton prochain comme toi-même ». C’est là la voie d’excellence pour avoir la vie éternelle. Puis Jésus ajoute pour cet homme : « fais cela et tu vivras ». Ce docteur de la loi est curieux, peut-être un peu provocateur, et il interroge à nouveau Jésus : « mais qui est mon prochain ? »
C’est alors que Jésus raconte cette histoire du bon Samaritain. Ce style littéraire est habituel à son époque pour rendre accessible des vérités de la foi à ceux qui écoutent. Il raconte donc l’histoire d’un homme qui est frappé durement par des bandits, laissé pour mort au bord du chemin, que personne ne secourt, pas même un prêtre et un lévite qui passent à côté de lui sans s’arrêter. Alors vient un Samaritain, pourtant honni par les juifs à cette époque, qui se penche sur lui et soigne ses blessures avec un peu d’huile et du vinaigre, puis le charge sur sa monture afin de l’amener à une auberge où il passe la nuit avec lui. Au matin, il donne quelques pièces à l’aubergiste et lui demande de s’occuper du blessé. Il affirme qu’il reviendra bientôt.
Cette parabole est provocante pour le docteur de la loi car celui-ci peut se prévaloir de représenter l’autorité parmi les hébreux, et là il s’agit d’un Samaritain, membre de ce peuple auquel les juifs ne parlent pas depuis plusieurs siècles, au point que l’expression que nous avons conservée de nos jours dans la Bible « le bon Samaritain » ne peut pas être admise par un juif d’alors.
C’est donc une parabole touchante qui parle de la charité et de la fraternité envers toute personne blessée. Et pourtant elle nous met mal à l’aise, car nous avons tous vécu, de près ou de loin, une situation proche où nous avons rencontré une personne qui avait besoin d’aide. Faute de savoir comment faire, nous nous sommes possiblement détournés d’elle, ce qui a pu laisser en nous un sentiment amer de culpabilité. Le Samaritain a fait ce qu’il pouvait faire. Il s’est arrêté et a pris soin de l’homme, il l’a conduit et l’a confié à quelqu’un d’autre, cet aubergiste. Aider une personne est bien souvent le fait d’une entraide et non d’une action solitaire. C’est d’ailleurs cela qui a motivé la création de l’application « Entourage » afin d’accompagner une personne vivant sans domicile fixe quand des hommes et des femmes le connaissent sans se connaître entre eux. L’application met en relation dans un même entourage ces personnes qui peuvent se coordonner pour soutenir la personne en précarité. Ce Samaritain, sans le savoir, a mis en œuvre une parole de Jésus qui disait « chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40).
En partant de cette parabole, approfondissons notre vocation à être un disciple de Jésus. Notre vocation baptismale est difficile et exigeante puisque nous désirons aimer et être aimé mais bien souvent, nous ne savons pas faire le bien que nous voudrions et aimer comme nous le désirons. Nous ne savons pas comment aimer celui qui est en détresse et dont les besoins révèlent notre incapacité à le secourir pleinement. La liberté et l’autonomie que le monde contemporain érige en modèles contredisent souvent l’appel à entrer gratuitement en relation avec autrui par amour. S’engager auprès de personnes en difficulté bouleverse notre volonté de faire ce que nous voulons. Les parents le savent bien quand il s’agit d’élever leurs enfants. Pourtant, Jésus nous invite à le suivre comme disciple. Un disciple est quelqu’un qui écoute, qui sert et marche à la suite d’un maître. Jésus donne le moyen de connaître la bonne direction c’est-à-dire l’Évangile qui est sa parole. En écoutant sa parole et en la mettant en pratique, nous apprenons à aimer celui qui est en détresse et à nous associer à plusieurs pour lui apporter un secours. Dans ce cas, nous expérimentons un fruit nouveau : la joie de la rencontre et du service, la compassion qui n’est pas la pitié mais le fait de souffrir avec l’autre en demeurant à ses côtés ; et l’espérance que devant toute détresse un chemin est possible. Être disciple ne contredit pas notre vocation à la joie et à la liberté, mais permet de la déployer en suivant Jésus car il est le parfait amour qui nous fait goûter la joie du don.
Dans la parabole du bon Samaritain, rappelons que ce docteur de la loi vient s’enquérir de sa propre vie éternelle par cette question : « que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? » Portons-nous cette interrogation pour nous-mêmes ? Cultivons-nous une certaine inquiétude quant à la vie éternelle qui nous attend ? Pour apaiser d’éventuelles craintes, il est bon de se rappeler que Jésus est réellement le Verbe divin qui a pris chair en la Vierge Marie pour vivre avec nous, et qui s’est offert totalement sur la Croix. Par sa résurrection, il a vaincu la mort pour nous donner la vie dès maintenant et pour l’éternité. Le pape Benoît XVI disait : « la vie éternelle n’est pas une récompense, c’est l’aboutissement de l’amour que nous avons laissé grandir en nous ».
Notre foi en Jésus-Christ ne consiste pas à cultiver simplement de pieuses pensées, elle s’incarne dans la réalité de l’humanité. Jésus a fait ainsi durant sa vie, et les pères de l’Église ont vite compris que la figure du Samaritain dévoile la personne de Jésus lui-même qui se penche sur l’humanité blessée par la violence du mal puis la conduit au salut dans l’auberge qui représente l’Église. C’est le réalisme de la foi, c’est-à-dire une foi qui est incarnée dans le réel de la vie des gens par la charité, la solidarité et l’entraide. L’apôtre saint Jacques dit clairement que « comme le corps privé de souffle est mort, de même la foi sans les œuvres est morte » (Jc 2,26). Le chrétien regarde le Ciel avec espérance, mais ses pieds sont enracinés dans le sol où il vient apporter par son amour concret l’aide à ceux qui peinent. Le chrétien, disciple par son baptême, se fait le prochain de celui qui souffre car c’est bien ce que dit Jésus à la fin du texte quand il interroge encore cet homme en disant : « qui a été le prochain de l’homme tombé aux mains des bandits ? » Alors, à ce docteur de la loi, Jésus ajoute un encouragement : « Va, et toi aussi, fais de même ».
Comme ce bon Samaritain montré en exemple dans la parabole, tout disciple de Jésus est appelé à faire de même, en acceptant d’être détourné de son chemin vers celui qui attend de l’aide, en lui offrant son temps et quelques moyens même s’ils sont dérisoires, par amour de Jésus, en vue de le mettre à l’abri. L’Église incarne cette attitude par les soins, les dispensaires et les hôpitaux qu’elle anime depuis le Moyen-âge. Dans de nombreux pays, elle continue cette mission sociale. Mais c’est bien à chacun d’entre nous d’être sensibles à ce cri parfois silencieux d’une personne en détresse, qui peut être au sein de notre famille comme parmi nos amis. Le temps des vacances est l’occasion d’entendre les appels souvent discrets de ceux que nous croisons pour un instant d’écoute, de proximité et quelques gestes de soutien. En imitant ainsi le bon Samaritain nous rendrons ce monde meilleur.
Je vous invite à prier en demandant à Jésus cette disposition intérieure qui ouvre nos yeux du cœur au besoin des autres. Que cette attention et la joie du don nous soient données.
Notre Père.