Dimanche prochain, ce sera la fête de Pâques. Depuis l’Annonciation, nous suivons la vie de Jésus pas à pas : Sa vie publique, sa passion et sa mort, sa résurrection puis son ascension. Toutes ces étapes forment un unique chemin d’abaissement et de salut. Alors qu’il retourne vers le Père, Jésus offre toute sa confiance aux apôtres afin qu’ils continuent à diffuser les évangiles à ceux et celles qui ouvriront leur cœur. Les signes que ces disciples accomplissent suscitent l’adhésion de beaucoup. Mais les apôtres sont appelés à un acte de foi en Jésus et en son Église naissante. Le Christ leur a commandé de partir sur les routes sans bâton, ni tunique de rechange ni argent, pour un voyage aller simple sans assurance si ce n’est celle de la providence et de l’Esprit. Pour reprendre les mots de saint François d’Assise, suivre le Christ appelle à épouser dame pauvreté. Sommes-nous disposés pour un tel appel ?
Aujourd’hui, Vendredi Saint, nous faisons mémoire et revivons ce jour terrible où le Fils de Dieu subit la violence des hommes. Arrêté, jugé, flagellé, frappé, couronné d’épines, revêtu par Hérode d’un manteau pourpre, insulté par les soldats, frappé par la foule, il porte sa croix jusqu’au Golgotha, il est anéanti et considéré comme « moindre qu’un homme ». Et pourtant Jésus accepte d’aller « jusqu’au bout ». Au bout du supplice, des tortures, des ignominies, afin de devenir le véritable agneau immolé, afin que son sang soit répandu sur le bois de la Croix et que soient sauvés ceux qui le rejettent pour l’instant.
Nos chemins de croix aux quatorze stations ajoutent quelques scènes que rapportent les traditions et les textes apocryphes, notamment ses trois chutes, le geste tendre de Véronique, une femme inconnue, qui essuie son visage tuméfié, plein de larmes et de sang, la rencontre des femmes de Jérusalem, désemparées, qu’il exhorte à un sursaut d’espérance.
Aujourd’hui, dans les rues de nos villes et villages, nous l’accompagnons humblement pour nous rappeler la terrible montée vers le calvaire. Faisons mémoire de l’aide apportée par Simon de Cyrène qui, alors qu’il rentre des champs et s’en retourne chez lui, est réquisitionné par les Romains pour porter la croix et soulager le condamné. Le temps presse. Jésus n’avance pas assez vite, son corps meurtri par la flagellation est épuisé, et les soldats savent que l’agonie est longue pour un crucifié.
Quel terrible instant quand les bourreaux plantent les longs clous de fer dans les pieds et les mains afin que son corps soit suspendu sur la croix dressée, à la vue de tous, humilié dans sa nudité ! Quel courage pour sa mère Marie qui se tient debout au pied de la Croix, accompagnant son fils de ses larmes, osant quelques prières balbutiées dans sa douleur, avec l’espérance de lui apporter un peu de réconfort. Il y a Marie-Madeleine, l’amie et la pécheresse libérée qui avait mis toute sa confiance dans le Messie et qui sanglote sous la croix.
Il y a encore Jean le disciple bien-aimé, l’ami fidèle, qui trouve auprès de Marie, cette mère âgée et usée par les années et les épreuves, un semblant de sécurité et de soutien. Il avait écouté son maître avec attention. Il avait eu le privilège d’entendre battre son cœur lors de la cène au Cénacle, ce cœur rempli d’amour pour l’humanité. Ces faits, il les recueille dans une incompréhension totale. Bien peu osent affronter les hurlements de la foule, les menaces des religieux, les coups des gardiens et des soldats. Tous se sont écartés un peu loin du triple calvaire où sont suspendus aussi deux Larrons, criminels et condamnés à mort. Quelques fidèles amis sont là pour recevoir en héritage les derniers mots balbutiés par Jésus en Croix, les sept dernières paroles de Jésus. Elles sont précieuses, elles disent l’abandon à la volonté du Père, le soin qu’il a pour sa mère Marie confiée à Jean, sa soif d’être encore aimé que l’on prend pour une soif d’eau en lui tendant une éponge imbibée de vinaigre, le pardon qu’il accorde aux bourreaux puis au bon larron, finalement ses ultimes mots par lesquels il remet son esprit à Dieu son Père. Alors il incline la tête doucement et meurt. Le rideau du temple se déchire. Les ténèbres se font nuit noire. Un centurion le regarde mort en disant « vraiment cet homme était un juste ».
Le chemin de croix de Jésus est repris dans tous les chemins de Croix du monde. En Corse, les pénitents membres de confréries aux longues capuches peinent en portant de lourdes croix, l’un d’eux à tour de rôle prend la place de Jésus sans jamais dire qui est l’élu de l’année, par humilité. Peut-être a-t-il de lourdes fautes à se faire pardonner ? À Chartres, le chemin de Croix précède l’office de la passion le soir. Ce vendredi, je serai à 14h à la prison de Châteaudun où nous vivrons le lavement des pieds pour les prisonniers qui l’accepteront et un chemin de Croix signifié par des images coloriées par les prisonniers, l’occasion pour chacun de prier pour sa famille et ses amis.
N’oublions pas, en ce vendredi saint, que des hommes et des femmes vivent un chemin de croix quotidiennement en ce monde. La misère sociale, la privation de liberté, la souffrance, physique comme morale, n’appartiennent pas au passé. Jésus a choisi de prendre sur lui le péché du monde acceptant l’infinie douleur afin de sauver notre humanité. Malheureusement, beaucoup de gens ont des oreilles et n’écoutent pas, ils ont des yeux et ils ne voient pas. Ils ne reconnaissent pas en Jésus le maître et le sauveur, l’ami et le bienfaiteur. Aujourd’hui encore, ils se moquent de ceux qui espèrent en lui, choisissant l’esprit du monde et ses faux dieux qui détournent les hommes de leur humanité authentique. L’argent est devenu leur dieu. Le pouvoir leur arme. Ils ont abandonné l’humanité pour jouir de leurs richesses ignorant la vie des petites gens. Les petits, les enfants à naître, les personnes fragiles et dépendantes sont menacés par leur arrogance.
Ce vendredi Saint, osons parcourir le chemin de Croix avec humilité et dans la prière. Nous ne serons pas là pour nous montrer, nous passerons au milieu de la foule sans crier ni apostropher, nous serons là pour être signe de la folie de l’amour, signe visible de l’amour inconditionnel d’un homme, Jésus, qui accepta d’être défiguré et de souffrir pour nous sauver du péché par sa mort. Il y a tant de personnes à confier à la miséricorde dans nos supplications.
Nous le ferons en attendant la grande vigile de Pâques et le jour de la Résurrection. Alors nous célébrerons joyeusement nos frères et sœurs néophytes, justes baptisés et devenus chrétiens pour marcher à la suite de Jésus, témoins de sa Parole de vie. Je vous propose de prier avec les mots de Jésus et de nous tourner, avec lui vers Notre Père :
Notre-Père