Dans de nombreuses villes sont installés des marchés de Noël. Mais Noël est bien plus que des marchés, si beaux, lumineux et chaleureux soient-ils. Le mot « Noël » vient de Nativité : celle de Jésus-Christ dans la crèche de Bethléem. Il fait donc référence au fondement de la foi chrétienne, l’incarnation en notre humanité du Fils de Dieu que l’on nomme le Verbe divin. Dans certains villages de notre campagne eurélienne sont disposées des crèches par les mairies. Des paroisses organisent des parcours pour les découvrir dans les églises. Si cela donne un bel air de fête, c’est aussi un signe que l’événement est religieux. La laïcité n’a pas vocation à masquer la religion mais elle garantit la liberté religieuse pour tous sans parti pris. Dans les marchés, souvent constitués de chalets en bois, on trouve des cadeaux et des décors de Noël pour nos intérieurs, des objets artisanaux locaux mais surtout des bibelots made in china. Certains proposent des produits gastronomiques, des gâteaux et du vin chaud. D’autres présentent des santons, des anges et des animaux, des éléments décoratifs pour réaliser de magnifiques crèches. Ces marchés sont merveilleux pour flâner et se rencontrer, ils sont joyeux et nous les aimons, ils sont un espace d’humanité.
Cependant la Nativité reste un mystère à approfondir et à faire découvrir. N’est-ce pas le moment du témoignage de la foi ? Le pape saint Paul VI a donné une encyclique importante le 8 décembre 1975 : L’annonce de l’Évangile (Evangelii Nundiandi). À la suite du Concile Vatican II qui prenait acte des changements culturels considérables dans nos sociétés, le pape affirmait son désir que les catholiques soient missionnaires parmi les peuples contemporains pour dire l’espérance que l’Esprit Saint met en nous. À l’époque, nous surfions sur les trente glorieuses et, même si le monde était en tension entre l’occident démocratique et l’Union soviétique marxiste, nous pensions que la croissance serait continue car l’industrie produisait de nouveaux objets pour agrémenter la vie, les loisirs devenaient le centre d’intérêt du citoyen, on ne manquait de rien, on construisait les nouveaux temples du commerce que sont les supermarchés, et on était tenté de ne plus s’inquiéter de l’existence de Dieu. Polnareff a chanté qu’on irait tous au paradis, aussi pourquoi devrions-nous prier un Dieu sauveur ? Le dimanche devenait le temps des loisirs et des sorties, la télévision couleur trônait au centre du foyer, aussi la messe ne s’imposait plus.
C’est dans ce contexte que Paul VI décrit l’urgence et le devoir pour tout baptisé d’être acteur de la mission; cet effort « est sans nul doute un service rendu à la communauté des chrétiens, mais aussi à toute l’humanité » (EN 1). Car sans transcendance, sans source divine d’amour commune à tous, l’homme devient l’être livré à lui-même, plus solitaire que solidaire.
Comment Paul VI parle-t-il de l’évangélisation ? Il reconnaît que l’évangélisation est une « réalité riche, complexe et dynamique » (EN 17). En indiquant la responsabilité de chaque baptisé, il écrit « Évangéliser, pour l’Église, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même : “voici que je fais l’univers nouveau” ! » Ainsi l’évangélisation doit commencer, et c’est bien là une vraie composante de cet élan, par une conversion intérieure de l’être chrétien, dans toutes ses composantes. Le baptême se comprend comme une source intérieure dynamique de laquelle coule l’eau vive de la Parole divine qui transmet la vérité bouleversante de la Bonne Nouvelle et la grâce qui rend active cette vérité. Ce changement convertit l’homme et le corps entier que nous formons, nous appelons ce corps l’Église dont Jésus-Christ est la tête. Ce corps vit la nouveauté de l’amour divin au milieu de la culture ambiante. Celle-ci est souvent indifférente à Dieu. Alors l’amour fraternel devient signe de la présence de Dieu et de la foi que nous lui vouons. L’étape première et nécessaire de l’évangélisation consiste en ce témoignage silencieux, qui se dit par l’art de vivre avec le Seigneur, sous la conduite du Saint-Esprit et qui interroge ceux et celles qui côtoient ces chrétiens. On appelle ce processus évangéliser par sa vie, ce qui est possible quand la recherche de la sainteté est effective et qu’elle porte un fruit de charité. Peu à peu, une personne chrétienne irriguera ses relations sociales et professionnelles par son attitude ajustée jusqu’à l’interrogation qui surgira un jour quant à la source motivant cette attitude : « comment vis-tu si joyeusement ? Quelle est la source de ta paix intérieure ? »
Paul VI dit qu’il devient alors nécessaire de nommer clairement le nom de Jésus qui nous a donné sa vie et qui nous accompagne. Nous ne devons plus cacher ce nom car il donne tout jusqu’à perdre sa vie pour nous. Il est le trésor découvert dans le champ de notre vie, il est la perle précieuse qui mérite de vendre les autres pour l’acquérir. Il demande que nous lui permettions d’entrer dans la maison, c’est-à-dire notre cœur et notre vie, puis chez autrui. C’est pourquoi le pape dit : « la Bonne Nouvelle proclamée par la témoignage de vie devra être tôt ou tard être proclamée par la parole de vie. Il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés. » (EN 22)
Une question advient à ce stade car nous vivons dans un monde de la communication mais celle-ci n’est plus limitée au cercle communal comme à l’époque de Jésus ou de nos vies passées, puisqu’elle a pris une dimension mondiale. Comment alors transmettre le message explicitement ? Nous savons que l’acteur principal de la mission est le Saint-Esprit. Il prépare les cœurs à entendre le message. Il fortifie le chrétien missionnaire à condition que ce dernier cultive une vie spirituelle profonde et ancrée dans la prière et la vie sacramentelle, accompagnée de méditations fréquentes des saintes écritures par lesquelles Jésus nous parle. Ainsi chaque matin, nous pouvons invoquer l’Esprit et lui demander de préparer nos cœurs et nos intelligences pour toute rencontre que lui, tel un bon régisseur, aura orchestrée. La mission commencera par l’écoute, la bienveillance sans jugement vis-à-vis de la vie de la personne, et l’audace d’un témoignage de vie chrétienne si nous en discernons la possibilité. Bien entendu, il nous faudra du courage et de l’humilité car notre vie n’est pas exemplaire dans son contenu, mais à travers elle se révèle la présence de Dieu à l’œuvre lorsque nous le laissons vivre en nous. Notre témoignage sera cause d’espérance pour l’auditeur rencontré, il lui apportera une joie et le disposera à se tourner un jour vers Jésus-Christ. Ainsi, l’Esprit prépare, le chrétien s’engage, et Dieu accomplit son œuvre. Ensuite, il importe de veiller à ce que la communauté donc notre Église accueille cette personne, lui offre une place et une écoute, lui propose de participer activement aux rencontres. Cela appelle une conversion des membres plus anciens afin qu’ils se laissent bouleverser par la nouveauté qu’apportent ces personnes devenues des frères et des sœurs en Christ, avec leur culture et leur histoire si diverses.
En ces semaines de l’Avent, pourquoi ne pas se retrouver entre catholiques afin de prier pour être disposés à ces rencontres ? Sur les marchés de Noël, pourrons-nous témoigner ? Au travail, serons-nous audacieux pour expliquer ce qu’est en réalité la fête de Noël et le mystère de la nativité de Dieu fait homme ? Vis-à-vis de personnes plus à la marge, dans la précarité, saurons-nous nous arrêter pour échanger ? Alors que les magasins ruissellent de lumières artificielles pour attirer le chaland, donnons un peu de temps et de notre personne car « il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir », dit Jésus (Act 20,35). Osons témoigner à la suite des apôtres qui affirmaient dans la joie de la résurrection : « il nous est impossible de nous taire sur ce que nous avons vu et entendu » (Act 4,20).
Nous prions ensemble pour nous disposer intérieurement à la mission extérieure, afin que nos portes soient ouvertes pour que le Christ que nous chérissons sorte à la rencontre des gens. Soyons ses ambassadeurs simples, modestes et priants. La table est prête, allons inviter pour le banquet spirituel.
Comme prière, je vous propose ces strophes d’un chant traditionnel de Noël :
Douce nuit, sainte nuit
Dans les cieux, l’astre luit.
Le mystère annoncé s’accomplit.
Cet enfant sur la paille endormi,
C’est l’amour infini,
C’est l’amour infini.
Paix à tous, gloire au Ciel
Gloire au sein maternel.
Qui pour nous en ce jour de Noël,
Enfanta le sauveur éternel,
Qu’attendait Israël,
Qu’attendait Israël.
Saint enfant, doux agneau.
Qu’il est grand, qu’il est beau.
Entendez résonner les pipeaux,
Des bergers conduisant leurs troupeaux
Vers son humble berceau, Vers son humble berceau.