#347 « Qui préfère sa famille et ses biens ne peut pas être mon disciple, dit Jésus ! »
Jésus dit encore « Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix chaque jour et qu’il me suive » (Lc 9,23). Cette affirmation résume les propos de Jésus rapportés par l’évangéliste Luc. Elle pose des questions presque insolubles. Comment devient-on disciple de Jésus ? Quelles sont les obligations du disciple vis à vis de son maître ? Peut-on perdre son statut de disciple ? Jusqu’où faut-il aller pour être son disciple ?
Le pape François nous enseignait que « tout baptisé est devenu par son baptême disciple-missionnaire » (voir son encyclique La joie de l’Évangile). Il est clair qu’il déclarait que le baptisé est ipso facto un disciple de Jésus-Christ. Les évangiles qualifient souvent les apôtres de « disciples ». Mais d’autres fidèles qui le suivaient sont aussi appelés disciples, comme les soixante-douze envoyés deux par deux en mission. Si le baptême fait de l’homme un disciple, il l’est et le demeure car le baptême marque l’âme tel un sceau indélébile. Nous sommes devenus disciples et rien ne peut gommer cette identité, à moins que nous ne la renions.
Mais qu’est-ce qu’un disciple ? Le disciple est une personne qui reconnaît en quelqu’un un maître digne de confiance. Il s’engage à ses côtés, il le suit, il partage sa vie avec lui et même il offre sa vie pour son maître. Il l’écoute parce qu’il s’attache à l’enseignement de son maître. Il marche à ses côtés, surtout à l’époque de Jésus lorsque l’on se déplaçait à pied, il va là où le maître l’entraîne parfois sans connaître la direction ni le chemin. Le disciple fait confiance au maître, car il sait tout le bien que lui apporte son maître. Son attitude se résume par le verbe « obéir », ce qui signifie « tendre l’oreille vers » ou encore « écouter avec grande attention ». Jésus est effectivement un maître, il donne sens à nos vies par ses paroles. Il le confirme aux apôtres : « Vous m’appelez “Maître” et “Seigneur”, et vous avez raison, car vraiment je le suis » (Jn 13,13).
Le disciple de Jésus se fait son serviteur, en communiquant à son tour les enseignements reçus et en témoignant de ses œuvres de miséricorde. Il est appelé à vivre comme lui. C’est ainsi que Jésus, après avoir lavé les pieds des apôtres le soir de la sainte Cène, leur dit de le faire à leur tour (voir Jn 13,1-10). Or ce geste du lavement des pieds était à son époque celui de l’esclave envers son maître ou toute personne importante comme un visiteur. Le disciple est appelé à l’humilité et à l’abaissement pour se faire proche des petits. Jésus disait « le disciple n’est pas au-dessus de son maître » (Mt 10,24). Ainsi tout chrétien, à fortiori tout clerc, doit s’abaisser pour servir ses frères et sœurs, pour se placer en-dessous d’eux afin de leur désigner Celui qui le seul véritable maître, Jésus-Christ.
La vie de disciple à la suite de Jésus comme maître implique renoncement et pauvreté. Jésus disait que « le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer la tête » (Lc 9,58). Cela dit la précarité matérielle du vrai disciple qui partage la vie matérielle de son maître. Dans un passé proche, les missionnaires partaient sans rien emporter, ou presque. Ils avaient quelques biens spirituels comme la Bible et des livres de catéchisme pour les donner, quelques habits pour être vêtu et bien peu d’argent pour survivre. Ils savaient que beaucoup perdraient leur vie à cause des maladies comme la fièvre jaune ou la malaria, mais ils espéraient survivre pour faire un peu de bien. Et s’il leur était donné le bonheur de revenir un jour dans leur famille, ils rentraient les poches vides, ayant tout offert aux populations rencontrées. Ils étaient témoins de l’évangile en vivant comme Jésus. Au fond la vraie richesse de ces hommes et femmes était leur foi et leur espérance qu’un jour ils verraient Dieu. Mourir jeune était le lot commun de la majorité des missionnaires, mais ils avaient la certitude que le don de leur vie leur ouvrait la porte du Ciel. Jésus ne promet pas une vie tranquille et confortable à ceux qui le suivent. Nous aussi, clercs comme laïcs, sommes bien des disciples et la voie de la pauvreté, « dame pauvreté » pour reprendre l’expression de saint François d’Assise, doit être la nôtre, même si elle est exigeante.
Revenons au texte de Luc qui dit que celui qui préfère son conjoint, ses enfants et ses biens ne peut pas être le disciple de Jésus. Nous pouvons considérer le pronom possessif « mon » dans l’expression « ne peut pas être mon disciple »,. Si nous sommes disciples par notre baptême, pour être en vérité les disciples de Jésus nous avons à choisir entre servir le monde et ses biens ou nous détacher du monde et de ses biens. Dans ce récit de l’évangile de Luc, apparaissent trois conditions de la vie du disciple exprimées par la forme négative. Jésus ne dit pas ce qu’est un disciple mais il nomme ce qui ne convient pas au disciple et qui l’exclut du cercle des disciples. « Celui qui préfère sa femme, ses enfants, ses champs, sa maison et ses biens, celui qui ne prend pas sa croix, celui qui ne renonce pas à tous ses biens, celui-ci ne peut pas être mon disciple » (Lc 14,25-33). Ainsi l’identité de disciple reçue à notre baptême, honneur suprême que d’être ainsi considéré par un tel maître qui est Dieu fait homme, se réalise en vérité par le choix définitif et radical de préférer Dieu à tout, même aux enfants de sa chair.
Comment comprendre une telle exigence ? D’aucuns pourraient la trouver insupportable. N’y a-t-il pas une contradiction avec le commandement d’aimer son prochain comme soi-même ? Car normalement nous aimons notre époux, notre épouse et nos enfants et des parents donneraient leur vie pour sauver ceux-ci d’un malheur. Comprenons que préférer Dieu et son envoyé Jésus-Christ n’a jamais été une affirmation demandant de ne pas aimer nos proches. L’amour du prochain est en permanence sur les lèvres de Jésus. Or il se trouve que la vie spirituelle nous enseigne que Dieu n’est jamais un concurrent même si certains psaumes parlent de l’amour jaloux de Dieu. En réalité, notre préférence dans l’amour de Dieu nous ouvre le cœur et l’âme en vue d’aimer plus largement autrui. Pour aimer vraiment d’un amour d’agapè, c’est-à-dire un amour parfait et altruiste, le disciple a besoin de se laisser remplir par l’amour divin sans compromis. La préférence pour cet amour envers Dieu se vit dans l’adoration et la prière lorsque le disciple brûle du temps pour Dieu, le contemple en se laissant absorber par lui. Au fond, pour qui commence à connaître Dieu et à entrer dans une vraie vie spirituelle, la préférence pour Dieu devient peu à peu une priorité. Marie de Béthanie avait choisi de demeurer aux pieds du maître tandis que Marthe, certes généreuse, se souciait de satisfaire la faim des hommes. Pour Jésus, Marie a choisi la meilleure part, Dieu servi en premier.
Avec la méditation des saintes écritures, peu à peu le disciple met le Christ au cœur de sa vie. Celui-ci devient comme le bon rocher sur lequel tout repose et le chrétien reconnaît cette force intérieure qui éclaircit son juste chemin. Avec Jésus, notre identité de disciple se fait amitié. Jésus propose cette amitié : « je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître » (Jn 15,15). Être un authentique disciple permet d’entrer en amitié avec Celui qui a tout fait, qui a créé les mondes. Pourquoi en tant que disciple pouvons-nous lui faire confiance ? En réalité, dans les évangiles, nous voyons l’amour que Jésus manifeste pour ceux qui le suivent avec foi. Lui-même par sa personne fait entrer chacun dans cette confiance, il est celui qu’il dit être par ses paroles bouleversantes : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile à porter, et mon fardeau, léger. » (Mt 11,28-30). C’est là le chemin, il s’agit de demeurer avec lui et en lui.
En étant disciple et missionnaire, nous témoignons du Royaume de Dieu. Ce Royaume n’est pas de ce monde, cependant en Jésus le Royaume s’est approché de nous, et nous vivons dès à présent les arrhes du bonheur éternel qui nous est promis. Là où nous sommes, dans le temps où nous vivons, quels que soient les troubles et les difficultés, nous transmettons peu à peu la foi qui nous habite. Soyons-en les témoins en manifestant que le maître est Jésus de Nazareth. Prions pour la conversion de ceux et celles qui ne le connaissent pas encore.
Notre Père.