#316 « Les béatitudes comme chemin de bonheur ? »

Le monde change très vite. Heureusement Jésus-Christ demeure. Pouvons-nous fonder nos vies sur lui et sur l’évangile ? Tant de choix politiques et économiques bouleversent le présent et orientent l’avenir. Or ils sont souvent fondés sur une volonté de pouvoir et de possession. Le cardinal Newman disait au XIXe siècle : « La richesse est la grande divinité du jour ; c’est à elle que la multitude, toute la masse des hommes, rend un instinctif hommage. Ils mesurent le bonheur d’après la fortune, et d’après la fortune aussi ils mesurent l’honorabilité… Tout cela vient de cette conviction qu’avec la richesse on peut tout. » Si cela était déjà vrai dans le passé, combien cela est-il vrai à l’ère de la mondialisation. Qui fera la volonté de Dieu en choisissant la voie de la sobriété ? Qui sera prophète d’un chemin nouveau et inclusif pour toute personne ? Comment discerner la voie de la vérité face au mal parfois promu comme un bien ? J’aimerais vous encourager à lire la Bible, à puiser dans les livres de la sagesse toute la richesse que l’Esprit de Dieu y a inscrit et que des générations ont pris soin de recopier sur des parchemins au long des siècles afin qu’aujourd’hui ces mots inspirés nous parviennent. Seulement voulons-nous les entendre, les apprendre, les communiquer ?

Je vous ai déjà cité le psaume 8 : « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui, le fils d’un homme que tu en prennes soucis ? » Essayons d’approfondir le projet divin sur la destinée de l’être humain dans ce monde changeant très vite. Nous entrons dans l’ère des robots qui, aujourd’hui, sortent des films de science-fiction pour entrer dans la vraie vie. Les machines et les robots sont partout : il y a des robots avec des roues encore appelées des voitures, des robots avec des membres appelés humanoïdes, des robots portables appelés des smartphones, des robots qui cuisinent à notre place, qui tondent l’herbe, qui font le ménage. Toutes ces inventions ont en commun de faire de multiples tâches à la place de l’homme. Ces machines sont équipées d’un microprocesseur extraordinairement puissant, de batteries et sont connectées ensemble grâce à Internet et aux satellites. Demain, selon les spécialistes, ces robots seront dans nos maisons, nos hôpitaux et nos usines. On ne pourra plus s’en passer, prédit-on. Que restera-t-il de l’homme ? Comment l’homme occupera-t-il alors son temps si les robots et l’IA travaillent à sa place ? Serons-nous simplement occupés par des loisirs perpétuels si les robots fabriquent mieux que nous et pensent plus vite que nous ? Que sera l’homme du futur et que fera-t-il de son temps ?

Pour le moment, nous désirons un monde meilleur, non pas « le meilleur des mondes » pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Aldous Huxley, mais un monde de relations, de communion, d’échanges, car l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu pour vivre des relations d’amour. Le catéchisme de l’Église catholique parle de l’homme et de son désir naturel de bonheur. Nous recherchons à obtenir et à faire ce qui nous apparaît comme source de bonheur. Jésus-Christ s’appuie sur ce désir de bonheur lorsqu’il introduit son premier enseignement (Mt 5-7) par les béatitudes qu’il donne comme voies et promesses de bonheur. Les béatitudes s’inscrivent dans la tradition juive, elles puisent dans la sagesse que l’on découvre chez les grands prophètes et dans les livres bibliques de la sagesse écrits environ deux siècles avant la naissance de Jésus. La première béatitude est « bienheureux ceux qui ont une âme de pauvre car le Royaume des cieux est à eux » (Mt 5,3). Elle dit que l’on peut découvrir une forme de bonheur en cette vie terrestre mais que cette vie est dirigée vers plus grand qu’elle puisqu’il s’agit de l’espérance du Royaume de Dieu. Ce qui est voilé à nos yeux et pourtant discernable par le cœur sera dévoilé pleinement lorsque nous serons accueillis au Ciel par Dieu le Père. En attendant, nous suivons les béatitudes comme règle de vie afin de bâtir notre vie en vue de ce bien : être doux et miséricordieux comme Jésus, garder nos cœurs purs face à l’impureté de la société civile, être artisans de paix lorsque les puissants font la guerre ou menace de la faire, œuvrer pour la justice, accepter d’être insulté au nom de l’Évangile sans répliquer hormis par l’amour donné. Et si nous sommes affligés, affamés et assoiffés de justice, Jésus propose de demeurer dans l’espérance tout en luttant contre les causes de ces maux. En réalité, ces béatitudes dévoilent le Christ lui-même qui prend sur lui les fardeaux que nous portons et qui communique la paix et la joie dans le cœur de ceux et celles qui recherchent le bien et qui le font. Si nous suivons le Christ, nous pouvons vivre de ces béatitudes, vivre cette vocation à la béatitude, qui n’est pas une fuite des réalités mondaines, mais une attitude résolue en vue d’un engagement auprès de nos frères et sœurs en humanité et en particulier auprès des plus fragilisés.

La porte des béatitudes est Jésus. Aujourd’hui, des hommes et des femmes se lèvent et frappent à la porte de l’Église en bousculant nos habitudes. Ils expérimentent que Jésus les sauve du mal où ils étaient englués sans pouvoir en sortir. Un univers nouveau s’ouvre devant eux, la terre devient ferme, ils marchent en sécurité. Une jeune femme m’écrit « J’ai découvert Dieu comme un Père aimant, toujours présent, même dans les moments de doute. Jésus, son Fils, m’a touché par sa vie donnée par amour pour l’humanité et l’Esprit Saint m’inspire chaque jour par sa lumière et sa force. La lecture de l’Évangile a transformé ma vision du monde et de moi-même. Quant à la prière, elle est devenue un moment précieux d’écoute, de dialogue et de paix intérieure que je pratique tous les matins et soirs et aussi sur les trajets jusqu’à mon lieu de travail ». N’est-ce pas merveilleux de lire ces mots qui inspirent notre vie chrétienne que l’Esprit renouvelle ? Comme pasteur de mon diocèse, je remercie ceux qui accompagnent nos catéchumènes. Une autre femme dit « les temps de catéchisme ne sont plus juste des réunions mais de véritables moments où je comprends enfin ma foi, où je peux partager. Je me sens tellement sereine et apaisée que je n’ai pas envie que ces temps d’échanges s’arrêtent ». Ces mots disent comment cet esprit des béatitudes rejoint ces futurs membres de l’Église du Christ.

Jésus enseignait « Ne vous souciez pas, pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez » (Mt 6,25). C’est ce que saint Thomas d’Aquin exprime à son tour lorsqu’il affirme : « Dieu seul rassasie ». La vie selon les béatitudes transforme nos rapports humains lorsque nous faisons confiance à la providence divine. La paix et la joie intérieures sont là, signes de l’action de l’Esprit et véritable grâce pour celui qui se dispose à ouvrir son âme à une telle présence. Pourtant, nous ne recherchons pas une royauté divine comme modèle politique. Dans l’histoire des civilisations, combien de théocraties sont devenues des tyrannies monstrueuses qui excluent les personnes qui ne suivent pas le dogme commun en les réduisant à être des marginaux sociaux voire des condamnés emprisonnés. Dieu n’a pas besoin du pouvoir politique des hommes pour étendre son royaume, et quand les hommes mettent la main sur la loi divine, ils la trahissent et font violence en son nom. Tant de pays aujourd’hui persécutent les populations ayant d’autres croyances que la religion d’État, dont si souvent des chrétiens. Cependant le vrai chrétien doit être conscient du trésor de sa foi et y puiser son inspiration afin d’éclairer les affaires politiques pour que la vérité, la dignité, le respect, la bienveillance, la justice soient authentiquement promus pour tous les citoyens. « Le Décalogue, le Sermon sur la Montagne et la catéchèse apostolique nous décrivent les chemins qui conduisent au Royaume des cieux. Nous nous y engageons pas à pas, par des actes quotidiens, soutenus par la grâce de l’Esprit Saint. Fécondés par la Parole du Christ, lentement nous portons des fruits dans l’Église pour la gloire de Dieu » (CEC 1724)

Dans quelques semaines viendra le temps du carême. C’est un temps liturgique béni qui nous permet de reconsidérer notre appel à la conversion, en priant, en jeûnant et en partageant. C’est maintenant le temps de nous y préparer. Demandons à l’Esprit sa lumière pour discerner ce que nous vivrons à partir du mercredi des cendres, le 5 mars, personnellement et en communauté, au sein de nos équipes. Ce ne sera pas un temps pour être triste, et si la sobriété fait partie de ce temps, c’est pour un surcroît de joie intérieure. Ce sera le temps du témoignage afin d’accompagner les catéchumènes vers leur baptême et rencontrer des gens qui pourraient nous interpeller sur le sens de cette préparation à Pâques. Soyons toujours disposés à rendre compte de l’espérance qui est en nous, cadeau du Christ. Maintenant prions avec foi le Seigneur qui nous invite à la béatitude.

Notre-Père.