#290 « Peut-on oser le pardon pour reconstruire la fraternité ? »

Dimanche soir, nous suivrons la célébration de clôture des Jeux Olympiques, avant que ne commencent les jeux paralympiques. Ces jeux nous ont offert deux semaines magnifiques faites de joies partagées, d’exploits sportifs, de fraternité entre les hommes et les femmes qui ont manifesté leur pugnacité, leur persévérance, leur courage et leur sens du partage, et réalisé des performances remarquables. Les médailles sont la récompense des vainqueurs, mais l’important n’est-il pas de participer ? Sans les errements – et même les erreurs – qui ont entaché la cérémonie d’ouverture, nous pourrions donner un satisfecit entier à ce rendez-vous mondial. Nous pouvons être fiers en tant que français d’avoir accueilli ces manifestations en tant de lieux différents, montrant aux téléspectateurs la beauté et la grandeur de notre pays. Le détournement vulgaire de la Cène du Christ qui représente le cœur de la vie de l’Église, nous a cependant profondément blessé, et beaucoup me l’ont exprimé par un message. Dans le monde entier, des voix ont retenti pour dire l’incompréhension. Ces faits nous commandent de sortir de la naïveté devant le travail de déconstruction de nos valeurs fondamentales pour nous engager clairement afin que l’Évangile brille et éclaire nos relations humaines, nos projets éducatifs dans les écoles, nos activités missionnaires dans nos paroisses. Ne perdons jamais notre joie et notre espérance, car elles nous sont données par le Saint Esprit, pour annoncer avec hardiesse les merveilles du Seigneur. Entraidons-nous afin que la charité soude nos communautés telle une famille vivant en communion d’amour. 

L’été avance. Dans quelques jours, nous célébrerons la fête de l’Assomption de la Vierge Marie, une fête magnifique qui dit comment Dieu a voulu unir Marie au destin de son Fils Jésus élevé au Ciel après sa résurrection. Le dogme dit qu’à la fin de sa vie terrestre Marie fut élevée avec son corps dans la Gloire de Dieu où elle trône au milieu des saintes et des saints dans une louange incessante à la Gloire de Dieu le Père. Sa mission d’intercession commença alors pour soutenir ses enfants sur Terre, et Dieu l’envoya en mission vers nous afin que nous entendions l’appel à nous convertir en vérité selon les termes de l’Évangile. Marie a enfanté le Verbe divin, Parole de Dieu, dont le message nous commande d’écouter sa voix qui nous enseigne tout ce que le Père lui a confié. Les révélations privées que certaines personnes disent recevoir n’auront jamais le poids des paroles de Jésus. Pour plaire à Notre-Dame, puisons dans les saintes Écritures les règles et les encouragements en vue d’une vie chrétienne ajustée. Devenons de fidèles lecteurs de l’Évangile. 

Je me propose de continuer le chemin entrepris sur la fraternité que le pape François a développée dans son encyclique Fratelli Tutti. Nous en sommes au chapitre sept qui nous parle notamment de « la valeur et du sens du pardon ». Le pardon est au centre du message de Jésus. Lui-même pardonna à ceux qui le mettaient à mort. Quand saint Pierre lui demande s’il faut pardonner jusqu’à sept fois, Jésus répond soixante-dix fois sept fois. Afin d’illustrer la nécessité du pardon à ses auditeurs, il donne l’exemple d’un maître à qui un gérant doit une somme astronomique et qui lui remet sa dette. Le pardon est l’acte suprême d’amour envers celui qui a offensé. Il renoue les liens de fraternité. Il n’est pas la négation de l’histoire ni son oubli mais il sublime le récit et dépasse les actes mauvais qui ont été commis. Il permet un surcroît d’humanité qui rend possible la communion et la fraternité.

Cependant comment le pardon peut-il s’appliquer entre les nations ? Tant d’histoires anciennes sont reprises pour dire la violence des pouvoirs politiques passés et demander réparation. Par exemple, en Grèce, on fait encore référence au sac de Constantinople, cœur orthodoxe de l’empire byzantin, mené par les croisés européens et la République de Venise en 1204 alors qu’en nos pays latins, nous avons oublié l’événement. Aujourd’hui, entre les peuples en conflit, il y a heureusement des tentatives de négociation facilitées par les réseaux diplomatiques dont celui du Vatican et ses nonces – les ambassadeurs de l’Église catholique auprès des gouvernements étrangers – qui agit avec discrétion et efficacité puisqu’il ne défend pas des intérêts économiques mais tente de rapprocher ceux en qui il voit des frères. Le pape François rappelle « un principe indispensable pour construire l’amitié sociale : l’unité est supérieure au conflit. » (FT 245). Il est fort probable que ces hommes soient confrontés à l’impossibilité d’empêcher certains conflits, gangrénés par la haine. Ainsi en est-il au Moyen-Orient dont les dirigeants semblent arc-boutés à leur volonté de détruire l’adversaire. Mais le conflit peut aussi créer un véritable espace de dialogue si les contradicteurs se font partenaires et œuvrent ensemble en vue d’élaborer un projet d’avenir par la construction d’un chemin nouveau. Cela suppose un regard d’espérance sur son vis-à-vis, en le considérant porteur de bonnes intentions et digne de confiance. Le pape ajoute que « la bonté n’est pas faiblesse, mais vraie force capable de renoncer à la vengeance » (FT 243). Résoudre les conflits est une nécessité qui ne peut accepter que ces derniers soient enterrés en pensant qu’ainsi ils seront réglés. Or l’expérience montre que certains différends ressurgissent des générations plus tard. La violence se retourne un jour contre celui qui en use car elle est l’arme du diable et celui qui fait appel à lui pour obtenir quelque force doit lui payer son dû. Le pape dit qu’on « ne gagne rien ainsi, et, à la longue, on perd tout ». Il affirme que la libération d’une situation bloquée « se réalise plutôt dans le conflit, en le dépassant par le dialogue et la négociation transparente, sincère et patiente. » (FT 244)

Nous ne devons jamais nous satisfaire d’un statut quo ou d’une négociation inachevée. Au contraire, dit le pape, « chaque fois que, en tant que personnes et communautés, nous apprenons à viser plus haut que nous-mêmes et que nos intérêts particuliers, la compréhension et l’engagement réciproques se transforment […] en un domaine où les conflits, les tensions et aussi ceux qui auraient pu se considérer comme des adversaires par le passé, peuvent atteindre une unité multiforme qui engendre une nouvelle vie » (FT 245). Il nous faut « vaincre le mal par le bien » (Cf. Rm 12, 21).

La fraternité est ainsi le fruit d’un combat permanent que nous menons avec les armes de l’Esprit que saint Paul énonce dans l’épître aux éphésiens : « Pour cela, prenez l’équipement de combat donné par Dieu ; ainsi, vous pourrez résister quand viendra le jour du malheur, et tout mettre en œuvre pour tenir bon. Oui, tenez bon, ayant autour des reins le ceinturon de la vérité, portant la cuirasse de la justice, les pieds chaussés de l’ardeur à annoncer l’Évangile de la paix, et ne quittant jamais le bouclier de la foi, qui vous permettra d’éteindre toutes les flèches enflammées du Mauvais. Prenez le casque du salut et le glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la parole de Dieu » (Eph 6,13-17). Là est la voie de la libération. Là est le chemin escarpé à gravir, la porte étroite à franchir. La fraternité est le fruit de cette lutte tout d’abord envers soi-même. Mais elle est aussi le fruit d’une lutte envers celui que nous considérons comme un ennemi et envers lequel nous pouvons être tentés d’adopter  la violence, la passivité, ou encore une voie médiane, la négociation. Pour bâtir la fraternité et vivre en paix, il nous faut exercer la vertu de courage. Relisons et mémorisons les armes qui nous sont nécessaires en remarquant que la dernière indiquée par Paul est la Parole de Dieu, que l’apôtre compare à un glaive. 

En revenant aux drames du passé, le pape cite la Shoah, « symbole du point où peut arriver la méchanceté de l’homme quand, fomentée par de fausses idéologies, il oublie la dignité fondamentale de chaque personne » (FT 247), et la destruction des villes d’Hiroshima et Nagasaki, qui ne peuvent jamais être oubliés : « Nous devons toujours nous en souvenir, sans relâche, inlassablement, sans nous laisser anesthésier. » En effet, la fraternité ne peut se construire en effaçant le passé, mais en l’analysant avec vérité et en espérant un chemin de rédemption qui considère avant tout les victimes et nécessite écoute et patience. « On ne progresse jamais sans mémoire, on n’évolue pas sans une mémoire complète et lumineuse. » dit le saint Père, qui conseille de conserver en mémoire les horreurs commises mais aussi le chemin parcouru avec toutes les étapes positives. En réalité, « il est très sain de faire mémoire du bien » ajoute-t-il. (FT 245)

Le pape François glisse une belle prière dans son texte, par laquelle je vous propose de conclure ce message en appelant la miséricorde divine sur les personnes qui sont impliquées dans des conflits, particulièrement ceux qui font actuellement tant de victimes innocentes dans de nombreux pays : 

« Souviens-toi de nous dans ta miséricorde. Donne-nous la grâce d’avoir honte de ce que, comme hommes, nous avons été capables de faire, d’avoir honte de cette idolâtrie extrême, d’avoir déprécié et détruit notre chair, celle que tu as modelée à partir de la boue, celle que tu as vivifiée par ton haleine de vie. Jamais plus, Seigneur, jamais plus ! »

Notre-Père