#287 « Amour et tendresse ont-ils leur place en politique ? »

Le pape François considère la politique comme un fondement significatif et nécessaire de la fraternité. Regardons le chapitre cinq de son encyclique Fratelli tutti dont le titre est « La meilleure politique ». Y aurait-il une politique qui serait meilleure ? Nous tenterons de retenir quelques points signifiants du texte du pape François. Une partie de ce chapitre s’intitule « l’activité de l’amour politique ». Amour et politique peuvent-ils être associés ? Le pape ose même parler de la tendresse en politique. J’y reviendrai. 

Dans les premiers paragraphes, le pape dénonce le populisme qui manipule les gens « en exacerbant les penchants les plus bas et égoïstes de certains secteurs de la population », en déformant la notion de peuple par le refus de l’ouverture à ce qui est différent, en servant l’intérêt de quelques-uns, en prétendant proposer des solutions immédiates aux attentes impatientes des personnes, cela hors de tout réalisme. Le pape parle d’un « populisme irresponsable ». 

Face au défi d’une juste politique, le pape François dit que chaque personne a besoin d’un travail pour lui permettre « de faire germer les semences que Dieu a mises en elle, ses capacités, son sens d’initiative, ses forces. » En prenant en compte les personnes marginalisées, il ajoute que « c’est la meilleure aide que l’on puisse apporter à un pauvre, c’est le meilleur chemin vers une existence digne. » (FT 162) Le travail apporte un salaire, un épanouissement personnel, des relations humaines, un partage des dons, une coresponsabilité en vue du bien commun, le sentiment de prendre part à un projet commun. Par le travail, chaque personne prend part à l’œuvre commune et enrichit la société des hommes. Le travail promeut la fraternité. 

Interrogeant la gouvernance dans la société, le pape François parle d’une « charité sociale et politique ». La question qu’il pose est celle-ci : « Peut-il y avoir un chemin approprié vers la fraternité universelle et la paix sociale sans une bonne politique ? » Nous avons besoin d’une bonne politique, soumise ni à l’économie toute-puissante, ni aux diktats de la technocratie. Face à l’accélération de l’économie numérique, une bonne politique prend de la hauteur, élargit sa vision aux dimensions du monde, pose des choix à long terme pour le bien des générations à venir, en préservant la Terre, en vue du bien commun, c’est-à-dire celui des gens simples et des pauvres. Souvent les échéances électorales obligent à satisfaire rapidement certaines attentes au risque de créer des situations dramatiques et irréversibles, comme l’exploitation abusive des biens terrestres non renouvelables. Une bonne gouvernance doit affronter avec lucidité ces défis. 

Le pape parle « d’amour politique ». Aimer est le fait d’un choix personnel. Il précise qu’il « s’agit de progresser vers un ordre social et politique dont l’âme sera la charité sociale. » (FT 180) La politique devient un « acte suprême de la charité. » Pour le Christ, l’amour est la synthèse de toute la loi. L’amour permet de bâtir un monde meilleur. Une société qui ne chercherait pas à susciter des liens de respect et de bienveillance entre les individus ne pourrait pas atteindre cette charité sociale et serait vouée à la perte à brève échéance. C’est pour cette raison que la violence n’est pas légitime pour faire valoir ses droits, puisqu’elle détruit les rapports de confiance et d’amitié et suscite un fossé qu’il sera toujours difficile de combler. Nous rappelons que la paix véritable n’est pas l’équilibre entre des forces antagonistes qui s’opposent mais l’état de bienveillance obtenu par le choix de l’amour mutuel que l’on appelle ici la charité politique. « Grâce à l’amour social, il est possible de progresser vers une civilisation de l’amour à laquelle nous pouvons nous sentir tous appelés. » (FT 183) Il nous est bon d’entendre cette expression de saint Jean-Paul II. En tant que chrétiens, nous espérons bâtir cette civilisation de l’amour. 

Un psaume dit « amour et vérité se rencontrent » (Ps 84,11). Nous voyons ici que la charité ne se déploie réellement dans les relations politiques que si la vérité est recherchée et promue. Pour l’Église la vérité exprime le projet divin sur l’homme et la femme, créés à l’image et la ressemblance de Dieu, appelés à une communion dans l’amour, dans la complémentarité de leurs différences. La source est l’écoute de la Parole de Dieu source de la sagesse, en vue de la sainteté. Une charité sociale sans vérité serait la proie de tous les subjectivismes et autres sentimentalismes et conduirait l’homme à une vie sans fondement et, in fine, décevante. « La charité a besoin de la lumière de la vérité que nous cherchons constamment et cette lumière est, en même temps, celle de la raison et de la foi, sans relativisme. »

Chacun d’entre nous contribue à cet amour politique lorsqu’en tant qu’individu il apporte un secours à une personne fragile ou en tant que responsable d’une entité il suscite un projet susceptible d’améliorer la vie d’autrui. La charité politique inclut un amour préférentiel pour les pauvres, pour leur donner une vraie place, ce qui veut dire un travail par lequel la société reconnaît leurs talents et compte sur eux. Le pape dit que « le principe de subsidiarité révèle ici sa valeur, inséparable du principe de solidarité » (FT 187), car seule la solidarité risque de maintenir l’être pauvre dans sa situation précaire, sans avenir réel. Or la subsidiarité offre à l’individu la possibilité d’accomplir certaines tâches comme celle de travailler pour gagner sa vie et sa liberté. Nous sommes bien au cœur du sujet de la fraternité. Ce choix permet de lutter contre la « culture du déchet » dénoncée par le pape quand il s’agit de personnes appauvries soit par l’âge, soit par le handicap et que la société économique juge coûteuses. L’amour politique considérant chaque citoyen comme une personne digne évite les abus dont sont victimes les gens en précarité, cibles faciles pour tous les réseaux du crime organisé. 

Ainsi faut-il un amour qui intègre et rassemble tous les hommes, en écoutant leur point de vue. Un tel amour implique parfois de renoncer à ses propres idées. Il nécessite souvent de la patience, une écoute afin que chacun puisse dire ce qu’il porte en lui. Là est la voie juste en vue de cet échange des dons. C’est ce que symbolise si bien l’arbre à palabre propre à la culture africaine : il est le lieu de l’échange long. Le pape François affirme ainsi : « Alors que nous voyons toutes sortes d’intolérances fondamentalistes détériorer les relations entre les personnes, les groupes et les peuples, vivons et enseignons la valeur du respect, l’amour capable d’assumer toute différence, la priorité de la dignité de tout être humain sur ses idées, ses sentiments, ses pratiques, voire sur ses péchés, quels qu’ils soient ! » (FT 191)

Le saint Père ajoute un paragraphe sur la tendresse qu’il est bon de relire : 

« En politique, il est aussi possible d’aimer avec tendresse. Qu’est-ce que la tendresse ? C’est l’amour qui se fait proche et se concrétise. C’est un mouvement qui part du cœur et arrive aux yeux, aux oreilles, aux mains. La tendresse est le chemin à suivre par les femmes et les hommes les plus forts et les plus courageux. Dans l’activité politique, les plus petits, les plus faibles, les plus pauvres doivent susciter notre tendresse. Ils ont le droit de prendre possession de notre âme, de notre cœur. Oui, ils sont nos frères et nous devons les traiter comme tels (FT 194) ».

Chers amis, faire de la politique est une chose difficile. Cela demande des volontaires préparés à la chose politique, formés au sens des autres, si possible par l’évangile qui promeut le respect de toute personne. La fraternité est un but certes, mais aussi une belle ressource car elle permet la mise en commun des talents, l’entraide, la complémentarité entre personnes diverses en vue de l’enrichissement commun du peuple. 

Prions pour les hommes et les femmes appelés à gouverner notre pays. Notre Père