#269 « Un mort peut-il réssusciter ? »

La mort appartient à la vie, nous naissons pour mourir. Cependant notre espérance est en vue de la vie éternelle promise par Jésus à ceux qui le suivent. C’est ce qu’affirme Jésus à Marthe qui pleure la mort de son frère Lazare : « Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu (Jn 11,40) ». Le croyons-nous ? Sommes-nous convaincus que la vie de chacun est destinée à plus grand que ce que nous appréhendons par nos sens de cet univers visible ? Jésus parle souvent du Royaume, par ses paraboles il met en scène des personnages qui s’approchent du Ciel parfois comparé à des noces.

Après les évangiles de la Samaritaine et de l’aveugle-né, celui du troisième scrutin nous montre Jésus faisant face à la mort de son ami Lazare. Jésus qui pleure, révélant ainsi son humanité, totalement assumée depuis l’incarnation. Il est l’ami de cette famille qui vit à Béthanie, dont nous connaissons Marie, Marthe et Lazare. Le récit de l’évangéliste saint Jean est unique. Jésus cheminait avec ses apôtres lorsqu’il est prévenu que son ami Lazare est mourant. À cette époque, point de SAMU, on mourrait souvent jeune, emporté par des maladies qui sont aujourd’hui pour nous bénignes. Pourtant, alors qu’il est averti de l’agonie de Lazare, Jésus ne presse pas le pas, surprenant ses disciples habitués à le voir tout quitter pour se rendre au chevet de malades. Quand il arrive, la foule est là, le village s’est invité. On entoure les deux sœurs, les proches, on compatit. À cet instant, Jésus est profondément ému au point de pleurer. Faisant preuve d’une douce autorité, il demande qu’on ouvre la tombe et que l’on délie le mort des bandelettes qui entourent son corps. Cela fait trois jours qu’on l’a déposé dans la tombe et pour bien montrer à Jésus que sa demande n’a pas de sens, on lui dit que le corps sent déjà. Jésus le sait. Mais il insiste. Les bandelettes sont enlevées, et Lazare revient à la vie et reprend ses esprits. Tous le voient et le reconnaissent, point de magie, point de trucage, ce même homme qu’ils ont inhumé mort vit maintenant. Il est ressuscité. À travers son humanité fragile, Jésus a communiqué sa puissance vitale divine pour manifester qu’il est le messie attendu porteur d’une autorité qui vient d’en-haut. L’ange Gabriel n’avait-il pas dit à Marie que son enfant serait le « fils du Très-Haut » (Lc 1,32) ? Il faudrait être aveugle pour ne pas constater les faits. Mais certains juifs s’inquiètent de cet homme qui ressuscite les morts. Leur projet de condamnation se concrétise : Jésus doit mourir, ainsi que Lazare témoin trop gênant.

Ce si beau récit de la résurrection de Lazare est choisi pour la célébration du troisième scrutin des catéchumènes. Cette fois, cette prière d’exorcisme en présence de l’assemblée chrétienne veut nous rendre la vie ou plutôt ouvrir chacun à la vie nouvelle. En effet, par le péché, la mort est entrée dans le monde. Saint Paul affirme en effet : « Nous savons que par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et que par le péché est venue la mort ; et ainsi, la mort est passée en tous les hommes, étant donné que tous ont péché (Rm 5,12) ». Sans la grâce divine, il n’y a aucune issue pour l’être humain que de souffrir et de mourir pécheur. Certes nos yeux voient la création, mais notre cœur a vocation à voir ce que les yeux ne voient pas, c’est-à-dire le monde invisible où évoluent les anges, bons et mauvais, le monde de la grâce qui transmet la vie, l’espace du Saint Esprit qui n’a pas de frontière et qui vient vers nous à chaque instant nous guider, nous défendre, nous consoler et nous encourager. Or le péché aveugle notre vision intérieure, il obstrue le chemin des bienfaits divins, il bloque nos relations d’amour. L’homme s’y enferme parfois terriblement. Ainsi vient la mort. Mais nous sommes destinés par volonté divine à une vie nouvelle dans l’Esprit. Les futurs baptisés vont la recevoir lors de la vigile pascale. Ils vont renaître pour être des pousses de vie nouvelles, appelés des néophytes. L’exorcisme qu’ils reçoivent les prépare et les ouvre à cette renaissance. Le démon à qui ils ont pu parfois prêter le flanc est mis dehors, chassé par le Christ qui a tant de fois dû délivrer des hommes et des femmes saisis par le mal. Marie-Madeleine avait sept démons en elle : Jésus l’en a libéré et elle est devenue une grande sainte, l’apôtre des apôtres à qui elle porta la nouvelle de la résurrection du Seigneur.

La vie spirituelle de tout chrétien demeure en tension entre le choix de la cité d’en-haut et le choix de la cité d’en bas. Cet écartèlement crée un mal-être de la volonté. Nous voyons le bien à choisir et nous discernons le mal à fuir et pourtant notre volonté fléchit et parfois succombe. Nous aimerions faire le bien et nous faisons le mal. Il faut la force de la grâce divine, déjà opérante dans la vie des catéchumènes pour avancer avec le soutien d’une communauté chrétienne fraternelle qui encourage et partage la Parole de vie. Saint Paul s’écrit lui-même : « Qui donc me délivrera de ce corps qui m’entraîne à la mort ? (Rm 7,24) ? Loin de se laisser abattre, il ajoute : « Mais grâce soit rendue à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur ! (Rm 7,25) »

Il est donc bon de se rappeler la belle discussion entre Jésus et Marthe, la sœur de Lazare, venue à sa rencontre lorsqu’elle apprit qu’il arrivait. « Si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ! (Jn 11,21) ». On pourrait l’imaginer frapper de ses poings le torse de Jésus, mais c’est plus une femme éplorée qui tombe aux pieds de Jésus. Alors, jaillit de la bouche de Jésus cette affirmation « ton frère ressuscitera ». Un dialogue merveilleux s’installe entre elle et Jésus. Elle acquiesce mais pense qu’il s’agit de la résurrection à la fin des temps. Marthe reprit : « Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. » Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? » Une fois de plus, est donnée par Marthe une parole extraordinaire. Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. (Jn 11,27) »

L’évangile donne ainsi plusieurs messages forts. Jésus nous dit qu’il peut raviver notre vie intérieure morte à cause d’une vie de péché comme il peut ressusciter nos corps qui seront déposés en terre un jour. Il indique le chemin merveilleux de la vie éternelle. Il enseigne à travers ce récit que nos propres vies sont appelées à une vie nouvelle, non pas une réincarnation car l’homme ne vit qu’une seule vie terrestre, mais à une vie dans l’Esprit reliée à Dieu le Père par lui.

Ces jours-ci, chacun peut méditer sur soi-même pour discerner la part appelée à ressusciter ? Où suis-je mort ? Ai-je enterré mon espérance en constatant tel péché récurrent, ou encore quand nous voyons le mal qui traverse la société civile, ou que nous faisons face aux défis économiques et sociaux que nous traversons ? Si beaucoup d’œuvres bonnes apportent heureusement un surcroît d’humanité, nous sommes immergés dans une culture de mort, côtoyant de nombreuses personnes qui vivent dans une réelle pauvreté et subissent des violences multiples, physiques et psychologiques. Notre vie spirituelle est elle-même parfois atteinte et nous baissons les bras. La mort intérieure est le mauvais fruit de cet état d’esprit, il y a une forme d’adhésion à cette profonde morosité avec la conséquence d’un abattement chez ceux qui ne voient pas d’issue. Alors la foi est en berne car Dieu semble loin et ne règle visiblement pas tous ces problèmes sociétaux comme on l’espérait. Mais Dieu n’est pas un prestidigitateur. Nous sommes comme les disciples d’Emmaüs : Jésus marche à nos côtés, peu pressé de se faire reconnaître mais présent pour nous faire faire une relecture de ses bienfaits et de notre appel à nous mettre en route avec confiance.

Finalement ce bel évangile peut aussi renouveler notre compréhension du sens de la mort du corps et notre foi en la résurrection. Si nous nous convertissons et qu’il nous admet en sa présence, un jour, nous verrons Dieu face à face. Réjouissons-nous du scrutin des catéchumènes qui nous entraîne à regarder notre propre chemin de sainteté et convertissons-nous pour être témoins. Je vous invite à prier maintenant.

Viens à notre secours, Seigneur notre Dieu :
Accorde-nous de marcher avec joie
Dans la charité de ton Fils
Qui a aimé le monde
Jusqu’à donner pour lui sa vie.

Notre-Père.