#239 «Que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux …»

L’Écriture sainte contient des perles magnifiques qui éblouissent celle ou celui qui les découvrent lorsqu’il médite la Parole de Dieu. J’en ai fait l’expérience en lisant le chapitre 17 de l’évangile selon saint Jean dans lequel est relatée la conversation de Jésus avec son Père quelques heures avant la passion. Ce chapitre est appelé la prière sacerdotale du Christ. Tout son contenu tourne autour de la communion de Jésus avec son Père dans laquelle il souhaite nous faire entrer : « que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé (Jn 17, 21) ». Il s’agit d’être un en Dieu pour jouir de son amour infini, et pour devenir témoin auprès de ceux qui, n’ayant pas reçu le baptême, ne connaissent pas le bonheur d’appartenir au Christ.

Jésus ajoute : « je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître, pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux (Jn 17,26) ». « Pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux » : réfléchissons à la profondeur de cette affirmation. Jésus nous a fait connaître le nom de Dieu le Père, l’appelant en araméen abba, soit en français papa. L’Écriture ne manque pas de termes pour parler de Dieu. N’est-il pas le Dieu tout-puissant, le Seigneur des armées, le Dieu de Miséricorde ou encore le Seigneur ? Jésus nous dit « je leur ai fait connaître ton nom » : dans la tradition juive faire connaître signifie faire entrer plus avant dans une relation. Dieu, que personne n’a jamais vu, Jésus nous permet de le connaître et d’user d’un nom qui nous parle, celui de Père. « Quand vous priez, dites notre Père ! » (Lc 11, 2). Quelle figure de père avons-nous reçue lors de notre éducation ? Cela peut bien sûr nous influencer, conditionner même notre rapport au Père des cieux. Mais il est Le Père, notre Père. Un père engendre des enfants ; nous sommes fils et filles de Dieu le Père puisque nous sommes devenus frères et sœurs de Jésus par notre baptême. Jésus dit qu’il fera encore connaître le Père à l’avenir. En effet, sa mission ne s’est pas arrêtée avec son ascension et, par l’activité incessante du Saint Esprit, il agit afin que d’autres personnes le découvrent. L’arrivée actuelle dans nos paroisses de nouvelles personnes désireuses d’être baptisées en est un signe probant. À Carentan, petite localité du Cotentin où j’ai fait halte trois jours, à la surprise de l’équipe pastorale, six adultes seront baptisés lors de la prochaine fête de Pâques. Au-delà de nos groupes et activités, Dieu se fait connaître et désirer. Continuons avec ce verset de saint Jean, en lisant la déclaration de Jésus sur l’amour qu’il a reçu du Père, l’amour dont le Père l’a aimé et le désir explicite que nous recevions ce même amour et qu’il soit en nous. Jésus veut que chacun de nous reçoive autant d’amour que lui-même en a reçu du Père et il veut vivre en nous, lui qui est Dieu le Fils, qui est venu parmi nous partager notre condition humaine, qui est Dieu Amour absolu. Cela signifie que notre vocation chrétienne est d’être totalement saisi et empli d’un amour infini en nous-même. Comment le comprendre ? Comment en vivre ?

Jésus a la délicatesse de nous attirer à lui avec bienveillance. « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme » (Mt 11, 28-29). Le joug de bois qui réunit deux animaux de trait est un symbole de la loi divine qui unit un même peuple avec son Seigneur. La loi nouvelle dans l’Esprit ouvre nos vies à une liberté fondée dans l’amour de Dieu. L’évangile de la joie attire par attraction, non par contrainte ou par manipulation. Nous n’achetons pas la conversion des personnes. Le baptême est un sacrement de la liberté que tout jeune choisit de confirmer par la profession de foi et la confirmation. Cet amour envahit parfois totalement et soudainement l’âme d’une personne. Celle qui en fait l’expérience en est bouleversée et transformée et comprend que sa vie ne sera jamais plus la même. D’autres goûtent progressivement cette présence, se sentant confortées et fortifiées, construisent jour après jour une relation grâce à leur prière quotidienne fidèle. Elles reçoivent l’amour du Seigneur par les sacrements, dans l’eucharistie et la confession, leur participation pouvant donner lieu à une grande émotion par la prise de conscience que le salut leur est donné malgré leur pauvreté. L’amour passe et vient irriguer leur vie qui se fait témoignage au cœur de ce monde.

Ainsi le Royaume de Dieu grandit à l’image du plant de moutarde, parti d’une toute petite graine, la plus petite des graines dit l’évangile, et qui abrite de nombreux oiseaux. En accueillant l’amour de Dieu, en le communiquant, en l’annonçant afin que le salut soit connu, le Royaume rejoint des enfants de Dieu dispersés pour les rassembler en un seul peuple de louange. « Que tous soient UN » dit Jésus ! Néanmoins, le fidèle voit dans son cœur en même temps son désir de recevoir l’amour de Jésus et son péché personnel, signe de sa fragilité qui obstrue le passage de ce même amour. L’homme conscient se débat, tente d’avancer, d’éviter le mal qu’il fait et de faire le bien qu’il ne sait pas faire. Il voit en lui le bon grain et l’ivraie, mot qui vient du grec zizanie, car il est courant que l’esprit de division habite notre personne. Nous aimerions tant ôter cette ivraie. Nous souhaitons l’arracher dans la société des hommes quand nous constatons l’injustice, la mauvaise gérance des biens, la corruption et tous les trafics. Il nous faut relire la parabole du Royaume comparé à un « homme qui a semé du bon grain dans son champ. Or, pendant que les gens dormaient, son ennemi survint ; il sema de l’ivraie au milieu du blé et s’en alla » (Mt 13,24-25). Les serviteurs du maître veulent arracher l’ivraie qui poussent parmi les épis de blé, mais le maître s’y oppose craignant que le blé soit arraché en même temps ; il propose que le tri soit fait à la moisson. Que ce soit pour la société civile, la vie en Église, ou pour notre propre vie personnelle, nous aurons toujours la présence simultanée du bon grain et de l’ivraie. Dans la vie citoyenne, cela est difficile quand nous constatons les émeutes, les crimes et les vols, les violences faites aux femmes, l’inceste envers les enfants. Nous voudrions plus de répression et de contrôle.

Le Christ nous invite à voir avec espérance la croissance du bon grain et la bonne moisson à venir. En effet, l’homme est capable de bien. Il réalise des œuvres qui servent au bien de tous, il travaille pour l’écologie, la justice, l’éducation et le développement. Il y a là une invitation à ouvrir les yeux pour discerner ce bien, à s’en réjouir, à promouvoir toutes les initiatives qui soutiennent le bien, à patienter pour que le temps de la moisson advienne. Patience et émerveillement doivent nous habiter même si l’ivraie fait de l’ombre à la lumière de l’amour de Dieu. Cet amour que nous avons reçu et que l’Esprit nous presse de partager. Le chrétien est conscient que sa conversion prend du temps et appelle de nouveaux efforts, mais il sait se réjouir de voir l’œuvre divine accomplir des merveilles, souvent discrètes mais ô combien fécondes.

Nous venons de célébrer la belle fête de l’Assomption avec cette procession dans nos rues pour dire aux gens la proximité et la tendresse de Notre-Dame. Ce vendredi, nous sommes nombreux à Lourdes avec l’hospitalité chartraine, entourés de fidèles venus du monde entier prier Notre-Dame de Lourdes. Nous accompagnons des personnes malades ou en situation de handicap. Marie est là pour nous y accueillir, elle nous indique l’eau de la source pour y trouver réconfort et purification. Les malades aiment tellement aller aux bains entourés de l’amour des brancardiers et de tant de bénévoles venus les soutenir, leur prodiguer les soins quotidiens, prier en leur tenant la main. Lourdes est un miracle de la bonté humaine, éclairée par la grâce divine. Auprès de la très pure Vierge Marie, même les plus grands pécheurs venus ici déposer le poids de leurs fautes se trouvent réconfortés comme des fils bien aimés. Marie ne juge pas le pécheur, elle oriente nos regards vers le crucifié qui prend sur lui le péché du monde, le nôtre, et promet que nous serons bientôt avec lui en son paradis.

Nous demeurons dans l’octave de l’Assomption de la Vierge, et je vous propose de prier une dizaine du chapelet pour confier les peuples en souffrance et ceux qui sont persécutés au nom de leur foi en Jésus-Christ.

Notre Père,
Je vous salue Marie …