#237 «À chaque jour suffit sa peine.»

Jésus propose un mode de vie radical : vivre sans souci et vivre de peu de choses puisqu’il demande aux disciples de partir les mains vides, sans argent ni sac, sans tunique de rechange. Dans l’évangile, il est dit que le fils de l’homme, c’est-à-dire Jésus, n’a pas de pierre où reposer sa tête. Cela exprime la précarité dans laquelle vivait la petite communauté des apôtres avec leur maître. Vivre de rien, impose de compter sur les autres, d’espérer que la porte s’ouvre, qu’un lit et un repas soient offerts. Le choix du dénuement rend le disciple dépendant de l’hospitalité et de la générosité d’autrui. Voici quelques semaines, j’ai eu la joie de rencontrer un élu intéressé par l’écologie. Face au réchauffement climatique incontrôlable qui présage des drames humains importants, il appelle à la décroissance. Or je me rappelle une interview de l’écrivain russe Alexandre Soljenitsyne qui affirmait que l’Occident aurait du mal à se restreindre tellement nous sommes habitués et conditionnés au toujours plus. Nous pensons être attentifs à la nature en roulant en voiture électrique, mais c’est un leurre : il faut générer le courant électrique. Notre consommation ne cesse de croître, notamment avec le cloud qui au niveau planétaire consomme à lui seul plus d’énergie que la France entière. Jésus nous invite à simplifier notre vie, à vivre de peu de choses, à ne pas nous faire de souci « pour notre vie, de ce que vous mangerez, ni, pour votre corps, de quoi vous le vêtirez » (Mt 6, 25). Il donne en exemple les oiseaux du ciel qui sont nourris par Dieu et les lys des champs qui sont mieux vêtus que le roi Salomon. Or ajoute-t-il, « vous valez bien plus qu’eux ! ».

Ainsi, nous sommes face à une question complexe : faut-il tout prévoir ou s’abandonner et vivre sans souci du lendemain ? Comment lire l’Évangile et le comprendre lorsque nous avons une charge de famille dont les aspects matériels semblent incompatibles avec un abandon complet à la providence ? Vivre comme les oiseaux du ciel pourrait sembler bien naïf, ou même insensé. Certains y sont contraints : ils ne peuvent vivre autrement qu’en travaillant pour gagner de quoi se sustenter, sans pouvoir penser au lendemain. D’autres, plus nombreux, ont la possibilité de prévoir, d’organiser, d’économiser et de conduire leur vie et leurs affaires en vue d’une vie stable. Nous envisageons notre avenir en nous posant de nombreuses questions relatives à notre cadre de vie, souvent pour que ce dernier puisse accueillir les enfants ou les amis. Mais le souci des choses matérielles peut occuper une telle place que l’être humain en devient stressé et inquiet. C’est d’ailleurs le reproche que Jésus fera à sainte Marthe en lui disant « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et te soucies pour bien des choses. » Ce n’est pas son dévouement aux tâches ménagères qui est en cause, mais son état d’esprit et la tension avec laquelle elle les accomplit.

Pourquoi Jésus insiste-t-il ? Jésus est Dieu fait homme et il connaît nos besoins. Il enseigne que le Père du ciel sait ce dont nous avons besoin puisqu’il nous a créés : « même les cheveux de votre tête sont tous comptés » (Lc 12, 7). Mais il nous met en garde : l’inquiétude peut recouvrir notre bonheur d’un voile obscur. Les hommes peuvent être tentés de se protéger, de se cacher derrière de hauts murs, s’enfermant dans un égoïsme qui conduit à la solitude et à la tristesse.

Jésus nous propose de « chercher d’abord le Royaume de Dieu et sa justice » (Mt 6, 33). Il promet que tout ce que nous recherchons et qui est nécessaire nous sera donné. Il y a un acte de foi à poser envers la providence de Dieu, c’est-à-dire en l’œuvre même de la grâce divine qui nous donne quotidiennement ce dont nous avons besoin. Quelle liberté alors que de vivre avec l’assurance que nous avons un Dieu et Seigneur qui prend soin de nous, qui éclaire nos vies par son Saint Esprit, qui fortifie nos relations humaines, familiales et conjugales, qui nous donne la sagesse pour éduquer nos enfants. Ainsi faut-il trouver un juste équilibre entre l’abandon à la divine providence et la tentation de compter d’abord sur soi-même dans l’inquiétude de l’avenir. Avec l’expérience, on découvre que personne ne domine ni ne maîtrise la vie. Les maladies graves en sont comme un rappel douloureux. Apprenons à recevoir la vie comme un don de Dieu. La vie se reçoit avec gratitude.

Être chrétien et croire en notre Dieu d’amour peut sembler une folie. « Dieu est amour » écrit saint Jean au terme de sa longue vie (1Jn 4,7). Cet amour, saint Paul l’enseigne dans un passage appelé « l’hymne à l’amour. » On pourrait le résumer par cette sentence : « s’il me manque l’amour, je ne suis rien » (1Co 13, 2). En tant qu’être humain, nous avons besoin d’amour, besoin de nous sentir aimé et besoin de pouvoir aimer quelqu’un. De quel amour parle saint Paul ici ? Le mot grec qu’il utilise est Agape. En grec, ce mot exprime le plus grand amour, un amour donné, gratuit et total, qui n’attend rien en retour, l’amour d’un être vivant qui se livre totalement à l’être aimé. C’est pourquoi le mot Agape définit l’amour trinitaire : le Père engendre éternellement le fils dans l’amour et le Fils se reçoit éternellement du Père dans l’amour. Et l’amour échangé entre le Père et le Fils se nomme le Saint Esprit. C’est ce même saint Esprit que Jésus a promis d’envoyer après son ascension pour parfaire nos relations humaines blessées par le péché originel et pour nous libérer du mal. La puissance de l’Esprit saint est une puissance d’amour. Elle dépasse le mal que l’être humain peut faire. Après un très long et douloureux cancer, quelques jours avant de partir contempler la face de Dieu, une de mes amies, Isabelle, me disait : « Philippe, la seule chose qui compte dans la vie, c’est d’aimer ». Et un policier officier au Burkina Faso, entouré par des djihadistes musulmans, m’affirmait : « s’il n’y a pas d’amour entre nous, cela ne marchera pas. » Notre société souffre terriblement d’un mal-être qui a sa source dans l’incapacité d’aimer celui qui est différent de soi. Les émeutes qui ont secoué notre pays sont une manifestation violente consécutive à ce sentiment de n’être ni aimé ni désiré. L’amour ne doit-il pas dire à l’autre qu’il compte à nos yeux ?

En ces jours d’été, pouvons-nous être le signe d’un amour plus grand, qui dépasse l’espace de notre cercle amical ou familial pour atteindre d’autres personnes afin qu’elles aient l’espérance qu’il est possible d’aimer, afin qu’elles puissent envisager que Dieu est présent offrant un amour sans mesure, un amour démesuré ? L’écriture affirme « Dieu, personne ne l’a jamais vu » (Jn 1, 18). Or Jésus-Christ a manifesté la présence et l’amour de Dieu, par ses paroles, sa propre vie, ses œuvres miraculeuses et miséricordieuses. Aujourd’hui, il nous demande d’incarner à notre tour la Parole de vie, une parole créatrice de communion pour nos relations humaines. Son Royaume a besoin de chacun d’entre nous pour être révélé aux hommes qui ne connaissent souvent pas leur destinée éternelle. Comment faire cela ? Demandons au Saint Esprit d’être conduit par lui vers des personnes qui nous sont inconnues, n’ayons pas peur d’entrer en relation avec un voisin, un passager blablacar, une personne croisée sur un chemin. En nous intéressant à ce qu’elle vit et à ce qu’elle aime, peut-être pourrons-nous lui parler de Jésus, de sa présence, lui offrir une médaille de Notre-Dame. Si faire ce simple geste peut nous effrayer, osons : nous constaterons souvent la joie partagée.

Là est notre projet, notre vocation de fils et de filles de Dieu : grandir dans l’amour du Père, en choisissant les mots et les actes qui stimuleront l’amour des autres. Bannissons durant l’été tous les termes blessants et proposons à ceux avec qui nous partageons le quotidien de dire leurs joies comme leurs difficultés pour trouver ensemble un meilleur cadre de vie, dans la lumière de l’Esprit. En laissant une place centrale à la prière, nous vivons de cette joie simple et spirituelle qui fait tant de bien. Osons vivre de la Parole de Jésus qui nous dit encore : « ne vous faites pas de soucis pour demain : demain aura souci de lui-même ; à chaque jour, suffit sa peine » (Mt 6,34). Alors, nous expérimentons une joie simple et heureuse.

Prions les uns avec les autres. Je vous encourage à prier le chapelet, avec la Vierge Marie, à méditer les mystères de la vie de Jésus, pour demeurer en sa présence et confier vos intentions et vos proches malades. Prier par amour des êtres humains, de tous sans distinction, voici un beau chemin que nous pouvons emprunter.

Je commence cette dizaine que vous pourrez continuer.
Notre Père…
Je vous salue Marie…