#214 «Ton Père qui voit dans le secret te le rendra » (Mt 6)»
Nous sommes en carême. Avouons que, généralement, nous ne sommes pas très attirés par ce temps liturgique. Pourquoi cela ? La couleur violette des vêtements liturgiques peut paraître triste. Nous ne chantons plus le Gloria lors de la messe dominicale et les fleurs sont absentes dans l’espace liturgique. L’orgue s’abstient de jouer a capella se limitant à accompagner les chants. Nous sommes invités à prier, à partager et surtout à jeûner. Cette période, qui s’est ouverte le mercredi des cendres et qui coure jusqu’à la semaine sainte, est ainsi marquée par l’idée de la privation. Interrogeons-nous : de quoi dois-je me priver ? Comment jeûner et en vue de quoi ? Quelle forme de partage puis-je vivre ? Quelle prière déployer quotidiennement ?
Nous ne sommes pas, ou peu, habitués à manquer du nécessaire, par exemple concernant la nourriture. Il est difficile de faire librement le choix de la sobriété. Pourquoi ne pas regarder positivement ce que l’Église propose de vivre durant ces prochaines semaines ? En allégeant nos menus, il s’agit de nous relier plus intimement à Jésus-Christ par la méditation des évangiles et la prière. Jour après jour, vivons avec lui les étapes de son chemin quand il se dirige vers Jérusalem, où sa passion et sa mort sont déjà préparées. En lisant les récits bibliques, nous sommes sensibilisés à la souffrance de Jésus causée par le refus des hommes de croire en lui jusqu’au renoncement des disciples à demeurer à ses côtés face aux menaces, et encore par le reniement de ses propres apôtres saisis par la peur lors de son arrestation. Thomas avait pourtant dit aux disciples avec présomption « Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui ! » (Jn 11, 16) Nous pouvons l’interroger : « où étais-tu, Thomas, lors du jugement de Jésus et de sa montée au calvaire ? Thomas, tu as fui. » Possiblement, nous eussions fait de même à sa place. Le carême permet de marcher avec Jésus, modestement et profondément, en pensant à ceux qui ignorent son sacrifice. Prions souvent pour le salut des âmes.
Certes, il est ardu de lire ces chapitres des évangiles, pourtant ils expriment le don merveilleux du salut qui s’opère : « Ainsi parla Jésus. Puis il leva les yeux au ciel et dit : « Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie. Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair, il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » (Jn 17, 1-3) Le carême nous aide à prendre conscience que notre vie est orientée vers la vie éternelle. Nos frères et sœurs catéchumènes reçoivent la foi lors du baptême et ils reconnaissent que celle-ci les ouvre à la vie éternelle. Jésus nous donne la vie éternelle, celle-là même que notre baptême promet. Vivre sobrement en ce temps de carême permet d’être remplis du Christ qui veut demeurer chez nous, par le Saint Esprit, et sa présence nous comble. Le carême, c’est prendre moins pour recevoir plus.
Une catéchumène m’écrit : « j’ai demandé de l’aide, un signe ; je ne savais pas bien à qui ni même pourquoi. Je savais seulement que je me sentais sombrer. Et les cloches se sont mises à sonner. Je me rappelle m’être dit : « et si c’était vrai ? S’il existait ? Et si je n’étais pas seule ? » Depuis ce jour, je n’ai jamais plus été seule. J’ai mis ma confiance en mon Dieu, j’ai prié et j’ai retrouvé confiance en moi, en lui, en la vie. » Une femme venue du Maghreb me partageait le bouleversement bienheureux que fut sa rencontre de Jésus et son baptême. Cette expérience merveilleuse qui change une vie, qui fait renaître, chacun peut la faire en s’ouvrant à la présence du Christ. Pour une personne qui n’a pas la foi, cela peut paraître étrange. À celle-ci, je proposerais volontiers de parler à ce Jésus inconnu pour elle, en lui disant : « si tu existes, manifeste-toi à moi ! » Le carême peut être le temps du désir, en vue de la rencontre de Dieu, une opportunité pour reprendre un chemin spirituel interrompu quand Dieu a été laissé au bord du chemin. Ce peut être le moment d’accepter un engagement dans l’Église paroissiale.
Pour vivre plus profondément le carême, il est bien d’être concret. Je vous propose d’aménager un lieu chez vous pour vivre ce temps comme une retraite, accompagnée par une proposition spirituelle comme celle des Dominicains (https://careme.retraitedanslaville.org). « Retire-toi dans ta chambre ! » dit Jésus et « parle à ton Père » (Mt 6, 6). Il est précieux de posséder un espace même petit chez soi pour trouver le calme, lire les évangiles et goûter les mots inspirés par l’Esprit, sans distractions, en les laissant venir à la pensée plusieurs fois afin d’en goûter la richesse. Puisque l’Esprit est l’auteur de la Bible et qu’il a inspiré les écrivains et parmi eux les évangélistes, maintenant, par l’Esprit, nous pouvons approfondir ces mots qui nous relient à la source qui est le Verbe divin.
Pour achever ces lignes sur notre carême, nous pourrions réfléchir aux questions que voici : comment nous faire du bien mutuellement ? Comment nous rendre heureux ? Comment faire croître l’entraide en société ? Notre projet n’est-il pas d’ajouter de la vie à la vie, de la joie à chaque journée ? Le Seigneur désire notre bonheur. Certes, votre vie a pu être marquée par une lourde épreuve récente ou elle l’est encore. Nous savons que la vie n’est pas un long fleuve tranquille mais qu’elle est l’espace pour aimer et être aimé. Certains n’en font pas l’expérience, étant isolés ou rejetés. Nos communautés paroissiales peuvent les rejoindre, mais cela demande une persévérance, une organisation, surtout une bonne volonté évangélique pour ne laisser personne au bord du chemin, tel le bon samaritain qui s’est arrêté près du voyageur meurtri et mourant. Nos équipes pastorales devraient reprendre mensuellement la liste des personnes à visiter, celles qui ont été rencontrées et qui souhaitent une suite et un soutien spirituel. Nos cœurs peuvent s’accorder au cœur de Jésus et offrir à toute personne un accueil. Si « la porte est étroite » dit Jésus, la franchir sera plus aisée si un frère prend la main d’un autre frère, surtout s’il est loin de Dieu. Il sera merveilleux, vous en conviendrez, si toute personne incroyante ou d’une autre religion découvre avec Jésus sa main tendue, la valeur infinie du pardon divin, qu’elle goûte la douceur de la miséricorde qui se communique sans condition. Là est l’expérience extraordinaire de la femme adultère « personne ne t’a condamnée ; moi non plus je ne te condamne pas, va et ne pèche plus » (Jn 8, 11) Beaucoup d’artistes ont chanté ce besoin d’amour inscrit dans notre humanité, nous rejoignant chacun dans ce désir. L’amour du Seigneur sera la flèche qui touchera le cœur de ceux et celles que nous pourrons évangéliser durant ces semaines.
Notre prière est maintenant précieuse pour accompagner nos proches et les catéchumènes bientôt baptisés à Pâques.
Ô Père, dans la nuit des guerres et des persécutions, nous te prions pour qu’advienne la paix entre les peuples. Sois la lumière de ceux qui subissent tant de violences. Soutiens ces frères et sœurs courageux qui vivent dans des ruines suite aux bombardements mais aussi à cause des séismes. Pour ton Église qui est en Eure & Loir, donne des vocations consacrées et sacerdotales, nous en aurons tellement besoin prochainement pour la mission. Par ton Esprit Saint, soutiens notre chemin de carême, priant et solidaire. Ô Père, aide-nous à fortifier nos liens fraternels pour fonder des communautés chrétiennes unies et accueillantes.
Ce jour, avec la Vierge Marie, nous nous confions à toi.
Je vous salue Marie…