#213 «Vous me chercherez et vous me trouverez.» (Je 29, 13)
Cette semaine, une vingtaine de prêtres de notre diocèse sont en retraite à saint Jacut de la mer en Bretagne Nord, dans les côtes d’Armor. La Manche y est mouvante, des courants forts la parcourent au gré des marées, les vagues se jettent sur les rochers, offrant un spectacle magnifique, coloré et lumineux, particulièrement avec le beau soleil d’hiver. Ici, le ciel change vite, modelé par les vents d’Ouest, le soleil profitant des trouées entre les nuages pour nous donner des lumières merveilleuses. Monseigneur Vincent Jordy, archevêque de Tours, nourrit notre méditation en commentant l’évangile de saint Jean. Il nous est bon de nous poser ensemble au cours de l’année. Le faire entre prêtres d’un même presbyterium intensifie notre communion, ce qui est moins facile au cours de l’année étant données les distances entre nos paroisses rurales. Ici, nous prions les uns pour les autres. Certains parmi nous sont restés en Eure & Loir pour répondre au besoin du ministère et se rendre disponibles pour les funérailles.
La semaine prochaine, nous entrerons en carême. Les cendres seront apposées sur notre front mercredi 22 février. Elles nous rappelleront que nous sommes poussière, tirés de la terre, tel Adam, et que notre corps retournera à la poussière. Le célébrant dira « convertissez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle. » Faut-il donc encore nous convertir ? Oui : celui qui veut marcher sur le chemin de la sainteté accepte de se convertir. Le fruit de notre conversion est de retrouver notre ressemblance à Dieu et vivre en communion d’amour avec Lui et entre nous. Ce fruit est un fruit de bonheur. Par la bouche du prophète Jérémie, nous recevons cette prophétie : « Je vous visiterai, j’accomplirai pour vous ma parole de bonheur, en vous ramenant en ce lieu. Car moi, je connais les pensées que je forme à votre sujet – oracle du Seigneur –, pensées de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance. Vous m’invoquerez, vous approcherez, vous me prierez, et je vous écouterai. Vous me chercherez et vous me trouverez ; oui, recherchez-moi de tout votre cœur. Je me laisserai trouver par vous – oracle du Seigneur et je ramènerai vos captifs. » (Je 29, 10-14) Nous y discernons le fruit que Dieu veut opérer. Il veut venir vers nous, comme il le faisait ainsi avec les patriarches et ceux qui le servaient, comme il le fit par Jésus, son Verbe divin fait chair pour être avec nous, l’Emmanuel. Sa parole est une parole de bonheur, non de malheur. Dieu n’a créé ni le mal ni la mort. Cela est difficile à entendre quand nous voyons les images des victimes du tremblement de terre, dont l’homme n’est pas responsable, en Turquie et en Syrie. La création est en transformation, et l’homme parfois bien faible devant les éléments. Nous ne pouvons pas avoir la prétention de tout expliquer. Mais Dieu est présent. Au cœur du drame l’amour de Dieu se manifeste. Le texte de Jérémie ouvre une voie spirituelle : « Vous m’invoquerez, vous approcherez, vous me prierez, et je vous écouterai. » Possiblement, là sera notre chemin de conversion pour ce carême, nous mettre à l’écoute dans le silence, loin des bruits et des musiques, dans la prière c’est-à-dire en relation avec Jésus-Christ, sûrs qu’il nous écoute. Le carême se vit dans cette recherche de Dieu « de tout notre cœur. » Y sommes-nous prêts ?
Dans un établissement scolaire, une lycéenne en formation professionnelle me disait qu’elle vivrait le carême à nouveau en excluant le sucre, les sodas, et surtout l’usage de tous les réseaux durant quarante jours pour prier longuement matin, midi et soir. L’avoir expérimenté l’année passée a été une libération pour elle, et dorénavant elle n’est plus scotchée à son écran et aux posts de ses amis. Ne nous voilons pas la face. Le carême est exigeant. Faire des efforts, même lorsqu’ils sont librement choisis, est difficile. Que faire ou que ne pas faire ? Tout peut nous paraître négociable, échangeable, pour atténuer ce qui serait vraiment un effort. La vie spirituelle est notre force dans le combat spirituel.
Contre qui luttons-nous dans ce combat ? Saint Paul annonce la réalité fermement « nous ne luttons pas contre des êtres de sang et de chair, mais contre les Dominateurs de ce monde de ténèbres, les Principautés, les Souverainetés, les esprits du mal qui sont dans les régions célestes. » (Eph 6, 12) Certes, nos pauvretés personnelles nous avilissent et nous entraînent dans le péché. Mais pour ceux qui désirent vraiment lutter, le malin ne les laisse pas tranquilles. En effet, son œuvre, pourtant perdue puisque Jésus nous a rachetés et sauvés par sa passion, est de nous exclure du salut obtenu et offert par Jésus. Il cherche à nous décourager, à nous détourner de ces sacrifices quotidiens par lesquels nous nous offrons au Seigneur et cherchons à aimer les autres.
« En toute circonstance, que l’Esprit vous donne de prier et de supplier : restez éveillés, soyez assidus à la supplication pour tous les fidèles. » ajoute Paul (Eph 6, 18). Cela peut demander que nous établissions un projet de prière, que nous inscrivions dans notre agenda ces rendez-vous précis et les lieux où nous retrouverons Jésus. Ayons une juste ambition en faisant des choix fermes et possibles sinon vite nous échouerons et nous découragerons. Interrogeons l’Esprit Saint sur notre point de conversion, le lieu du combat qu’il nous faut mener, le changement à opérer en soi. « Seigneur, montre-moi ce qui peut être nouveau en moi ! » La prière est une nécessité absolue. Privilégions, quand cela est possible, l’adoration en présence de Jésus. Réinvestissons nos églises à toute heure pour notre oraison ou l’adoration eucharistique. La paix du monde en dépend, notre communion avec Dieu y trouve sa force, nos projets s’y éclaircissent.
Les apôtres durant la vie publique de Jésus ont expérimenté la puissance de ce combat spirituel. Alors qu’ils échouaient à soulager un enfant épileptique qui tombait soit dans le feu soit dans l’eau, ils appellent Jésus qui chasse alors l’esprit mauvais. « Pour quelle raison est-ce que nous, nous n’avons pas réussi à l’expulser ? » Et Jésus de répondre : « ce genre de démon ne peut s’en aller, sinon par le jeûne et la prière. » (Mt 17, 21) Le jeûne sans la prière n’est qu’une démarche diététique, ce n’est pas ce que l’Église propose. Notre jeûne nous détache des nourritures terrestres auxquelles nous sommes bien attachées, souvent plus que ce que nous croyons, pour aller vers plus d’union à Dieu, dans l’écoute de la Parole et sa mise en pratique par notre charité. « Car, dans le Christ Jésus, ce qui a de la valeur, c’est la foi qui agit dans la charité. » (Gl 5, 6)
Saint Paul peut nous inspirer encore pour entrer en carême, en nous couchant plus tôt, pour nous lever tôt et commencer chaque jour par une prière soutenue voire la messe : « C’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les activités des ténèbres, revêtons-nous pour le combat de la lumière. Conduisons-nous honnêtement, comme on le fait en plein jour. » (Rm 13, 11-13) La lumière ne peut être éteinte si elle brille déjà car il n’existe pas d’interrupteurs pour allumer… l’obscurité ! Mais si nous sommes vraiment des femmes et des hommes de prière, alors nous sommes une lumière pour le monde. Même dans leur mise à mort, saint Paul Miki et ses compagnons japonais brillaient encore sur la croix, par leur amour et leur témoignage qui touchaient leurs bourreaux, au point que ces derniers les achevèrent avec leur pique pour les réduire au silence. C’était en 1597 et depuis leur lumière ne s’est jamais éteinte dans l’Église.
Le combat spirituel est une lutte exigeante. Motivons-nous en priant pour les vocations consacrées et sacerdotales, pour la paix, pour toutes les victimes des catastrophes, pour notre propre conversion. Le pape François lors de son voyage au Soudan du Sud disait : « avant de nous préoccuper des ténèbres qui nous entourent, avant d’espérer que quelque chose autour s’éclaire, nous devons briller, éclairer par notre vie et par nos œuvres les villes, les villages et les lieux que nous habitons ». « Cette terre, très belle et meurtrie, a besoin de la lumière que chacun de vous possède, ou mieux, de la lumière que chacun de vous est ! » Oui, « Jésus vous connaît et vous aime », a martelé François en lançant cette promesse : « Si nous demeurons en Lui, nous n’avons pas à craindre, car pour nous aussi toute croix se transformera en résurrection, toute tristesse en espérance, toute lamentation en danse ».
Êtes-vous convaincus de l’urgence de vivre pleinement le carême ? De la nécessité d’en parler autour de vous, de le vivre avec vos enfants ? De ne pas faiblir devant les tentations du monde ? De prier et de jeûner de manière renouvelée, dans la discrétion voulue par Jésus en nous « retirant dans notre chambre là où le Père éternel voit ce que nous faisons dans le secret » (Cf. Mt 6, 6ss) ?
Prions maintenant pour entrer dans ce nouveau carême qui nous conduira à la joie et à la beauté de Pâques.
Seigneur Jésus, tu n’as pas évité le temps du désert où tu fus tenté par le démon, accompagne nos vies en marchant sur nos chemins pour nous partager la vraie joie, celle de demeurer en ta présence.
Seigneur Jésus, nous voyons la détresse des familles endeuillées par le tremblement de terre au Moyen-Orient, apporte-leur réconfort et aide matérielle.
Seigneur Jésus, tu désires que ton Royaume de paix soit annoncé de par le monde entier, donne-nous ta lumière afin que nous sortions sur nos places pour annoncer le kérygme « oui, tu es mort et ressuscité, tu nous sauves et nous conduis vers la vie éternelle. »
Notre-Dame, nous te prions encore de dire à Jésus, ton fils, comme à Cana, combien nous avons besoin de son secours.
Je vous salue Marie.