#199 « Jésus Christ s’est fait pauvre à cause de vous ! »
Ce jour de l’anniversaire de l’armistice garde notre conscience et notre mémoire en veille. La guerre est une folie. « Plus jamais la guerre » avait crié saint Paul VI à La tribune de l’ONU à New-York. En cette année 2022, la guerre s’est approchée de nous, elle a commencé en Ukraine en février. Elle devait durer quelques jours, pensaient les autorités russes, mais les Ukrainiens montrent un esprit de résistance et de sacrifice extraordinaire. Malheureusement nous pouvons voir les images de tant de destructions, l’utilisation de missiles de grande puissance, et l’indifférence des gouvernants russes à la souffrance de tant de familles qui ont perdu des proches et leur maison. Sommes-nous convaincus que la guerre est une folie et que rien ne peut justifier de l’envisager ? Face aux différends entre les peuples, comme chrétiens, nous avons les armes de la prière et du dialogue. La Parole de Dieu nous presse à être artisans de paix, en vue de la réconciliation. Mais reconnaissons que même au sein de l’Église, par les réseaux sociaux, des catholiques sont prompts à l’invective, à l’insulte et aux critiques non fondées. La guerre commence là et elle ne conduit pas au bonheur. Ce 11 novembre, j’irai au monument aux morts de Chartres, dans la montée des charbonniers, avec les autorités de l’État et des associations. Sur le marbre, plus de sept cents noms de soldats morts durant la grande guerre sont inscrits. Puis nous irons, avec les autorités de la Ville, chanter le Te Deum dans la cathédrale.
Quelle est cette tradition et que dit cet hymne ? Le titre « Te Deum laudamus, te Dominum confitemur » se traduit par « nous te louons ô Dieu, nous te bénissons, Seigneur. » Pourquoi louer le Seigneur ? Le texte explicite plusieurs motivations : la majesté de Dieu qui remplit le Ciel et la terre, les martyrs qui chantent sa Gloire, la venue du Verbe divin par le sein maternel de la Vierge Marie, l’ouverture du royaume des cieux pour les fidèles serviteurs de Dieu, l’éternelle jouissance dont bénéficient les saints et les saintes dans l’éternité bienheureuse. Le chant continue sur une supplication afin d’être préservé du péché. Le Te Deum se conclut par un acte de foi : « en vous, Seigneur, j’ai mis mon espérance, je ne serai pas confondu à jamais. » Alors que ce chant retentira sous les voûtes de la cathédrale, qui parmi les personnalités rassemblées fera un authentique acte de foi en la grandeur de Dieu ? Prions-nous assez pour la paix qui vient par Jésus-Christ ? Il la propose « je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne » (Jn 14, 27). Je crains que beaucoup de nos décideurs politiques omettent cet appel pressant. Si certains parmi vous portent des responsabilités politiques, au niveau des communes, des départements voire au niveau national, je vous conjure de prendre du temps pour prier dans tous ces lieux de gouvernance. Si la notion de laïcité vous prive de le faire vocalement et publiquement, retirez-vous dans votre chambre intérieure et demandez au Saint Esprit de vous conduire. Ainsi, en tout temps et en tous lieux, une prière sera offerte au Seigneur pour sa Gloire et pour la paix.
Dimanche prochain, le 13 novembre, ce sera la journée des pauvres, pas tant une journée pour eux qu’une journée avec eux. Proposée depuis quelques années par le pape François, c’est une occasion de vivre des rencontres fraternelles. Les paroisses prieront pour les personnes en précarité et, je l’espère, leur donneront une place de choix dans la liturgie dominicale. Les familles ouvriront leur porte, accueilleront ceux qui sont seuls. Organiser un après-midi pour tous, quelle que soit la situation sociale, peut favoriser les rencontres et la joie commune.
Cependant nous pourrions nous demander ce qu’est la pauvreté. Elle n’est pas forcément synonyme de manque de nourriture ou des biens de consommation de base. En effet, l’être humain vit de relations sociales. Dans une vie que je qualifierais de normale, les relations sont multiples : avec soi-même, avec les autres, avec la nature et avec Dieu. Quand l’homme vit ces quatre relations, ne trouve-t-il pas un équilibre physique, affectif et spirituel, source de joie et de satisfaction ? Alors si l’absence de relation se fait sentir, si le cadre de vie exclut la proximité avec des amis ou des parents, n’est-ce pas là la réelle pauvreté ? À Paris, Michel me disait un soir avec une grande tristesse « ce week-end, je n’ai pas dit un mot à une seule personne. » Le thème de la journée est une citation de saint Paul : « Jésus Christ s’est fait pauvre pour vous » (2Co 8, 9) Cela peut signifier que chacun de nous a une part de pauvreté en lui, celle qui est due à notre péché, et c’est pour cela que le Fils de Dieu s’est fait homme afin de nous rejoindre et nous sauver de la mort de l’âme.
Le pape François dans le livre Des pauvres au pape et du pape au monde tente une définition de la pauvreté. Voici ce qu’il dit « les pauvres sont tous ces gens qui vivent aux marges de la société que nous avons créée. Ce sont tous ceux qui sont aux marges de l’affection, qui se sentent exclus d’une communauté affective. C’est celui que sa famille a placé dans un foyer parce qu’il l’encombrait, ou parce qu’il était vieux ou sans ressources. Bref, toute personne qui, d’une manière ou d’une autre, se trouve affectivement séparée de la société. Je ne dis pas “effectivement” mais bien : “affectivement”. » Le pape parle aussi de personnes riches qui sont en réalité de « pauvres types », comme cet homme, parent dans sa propre famille, qui, à sa mort, avait demandé que l’on mette ses biens dans son cercueil, car il ne voulait pas les donner, au point qu’on eut du mal à fermer le cercueil ! Là est une grande pauvreté.
De nombreuses personnes sont engagées sur tous les fronts de la pauvreté. Dans sa lettre de confirmation, une adolescente disait avoir donné tous les vêtements dont elle n’avait pas l’usage pour les victimes de la guerre en Ukraine. Le Secours catholique est animé par plus de 60.000 bénévoles. Beaucoup parmi nous, membres de l’église, œuvrent souvent dans la discrétion pour des proches ou des voisins. Nous avons besoin de tant de talents, et je ne peux que vous encourager à donner de votre personne, car vous trouverez la joie et vous donnerez du bonheur. L’amour fraternel est un enjeu capital dont les premiers bénéficiaires doivent être les pauvres. Jésus nous a dit « les pauvres, vous en aurez toujours avec vous. » En effet, même si nous avons de gros moyens financiers dans nos pays développés, le besoin d’humanité est criant. Notre culture occidentale pourtant tellement élaborée crée de nombreux lieux de pauvreté et d’exclusion, même si beaucoup de belles réalisations adviennent pour favoriser une vie harmonieuse. S’il fallait une preuve de ce que je dis, les quinze mille suicides annuels hurlent en silence dans notre pays. Je n’oublie pas nos anciens dans les maisons de retraite et les personnes vivant recluses à domicile. Mais j’insiste sur l’urgence d’aider les jeunes qui vivent aux marges de la société et qui se voient sans avenir. Comment les soutenir ? Comment leur ouvrir une voie heureuse pour que leurs talents ne soient pas enfouis sous le fumier de nos indifférences ? Comment leur donner une chance ? Au moins trois patronages ont été récemment créés par des paroisses. Cela est déjà un début de réponse, et tant mieux. Personnellement je me vois démuni, mais ensemble, ne pourrions-nous pas trouver quelques réponses ? La diaconie diocésaine est cette instance permettant de nous rencontrer et de mettre en commun nos bonnes volontés. Au nom de Jésus, refusons toute forme d’indifférence ou de négligence envers les personnes précaires. Prions pour discerner ce qui est possible. Ouvrons nos cœurs, nos églises, nos salles paroissiales pour que ces personnes pauvres nous disent ce dont elles ont besoin, quel serait leur plus grand désir, comment elles veulent se construire un avenir. Cela nous ne pouvons pas le faire à leur place, ni leur imposer nos solutions, c’est ensemble qu’il nous faut avancer avec patience, courage et audace.
Enfin, je désire mentionner une grande pauvreté, celle de la souffrance chez les personnes victimes d’abus, de quelque sorte qu’ils soient. L’Église porte une part de responsabilité par les actes de clercs et de laïcs œuvrant en son sein, par l’indifférence passée envers les victimes de ces drames, par le silence coupable de certains responsables. Tant de personnes et tant d’enfants continuent à subir les violences de grands jeunes et d’adultes qui leur volent leur innocence et les blessent profondément, surtout au sein des familles et en certains lieux d’activités scolaires ou sociales. La journée des pauvres peut être l’occasion de les écouter, en leur disant que leur parole est importante et que la porte de nos communautés ecclésiales leur est ouverte. J’engage les prêtres et les membres des équipes à offrir une écoute bienveillante et sans jugement à ceux et celles qui viendraient vers eux. Jésus fut le premier, en contradiction avec les attitudes culturelles de son époque, à se mettre à l’écoute et au service des personnes jugées impures et infréquentables : les lépreux, les prostituées, les publicains, les grabataires, les adultères, les étrangers, etc.
Je vous invite à ce que notre prière soit fidèle et monte vers le Seigneur pour la paix et pour accompagner les personnes pauvres, afin que notre cœur soit disponible pour toute rencontre que l’Esprit de Dieu voudra nous proposer. En guise de prière, je vous donne à méditer ces mots de saint Charles de Foucauld, cités par le pape François dans son message pour la journée des pauvres 2022 :
« Ne méprisons pas les pauvres, les petits ; non seulement ce sont nos frères en Dieu, mais ce sont ceux qui imitent le plus parfaitement Jésus dans sa vie extérieure : ils nous représentent parfaitement Jésus, l’Ouvrier de Nazareth. Ils sont les aînés parmi les élus, les premiers appelés au berceau du Sauveur. Ils furent la compagnie habituelle de Jésus, de sa naissance à sa mort. Honorons-les, honorons en eux les images de Jésus et de ses saints parents […]. Prenons pour nous [la condition] qu’il a prise pour lui-même […]. Ne cessons jamais d’être en tout pauvres, des frères des pauvres, des compagnons des pauvres, soyons les plus pauvres des pauvres comme Jésus, et comme lui, aimons les pauvres et entourons-nous d’eux. »